top of page

Bilan de transition foncière. Financer la régénération urbaine et la sobriété foncière





Introduction


La terre, avec le travail et la monnaie, comme nous le rappelle Karl Polanyi dans son magistral essai de 1948 La Grande Transformation, ont subi un « désencastrement ». Ces éléments autrefois régulés par des systèmes coutumiers et « encastrés » dans une dimension matérielle et symbolique locale et spécifique (voire religieuse), sont devenus des « marchandises fictives ». Ces entités ont été progressivement redéfinies dans leur identité, pour être soumises à une marchandisation. Le travail, c’est bien connu, est devenu un facteur de production, qui s’échange sur un marché « de l’emploi ». La monnaie est devenue non seulement un support des échanges, mais une réserve de valeur, elle est même devenue

fiduciaire. La terre, quant à elle, c’est-à-dire nos sols vivants, sont devenus des fonciers. Des biens-fonds, correspondants aux limites précises d’un découpage cadastral largement aveugle des réalités biologiques, hydrologiques, agronomiques, écologiques de cette terre qu’il découpe en parcelles.


Le foncier, c’est la terre faite bien marchand.


Bien qu’imparfaites, des instances de régulation et des règles puissantes ont été mises sur pied au XXe siècle pour corriger les effets pervers de la marchandisation du travail et de la monnaie : les systèmes d’État-providence et leurs corps intermédiaires, les banques

centrales et leur rôle régulateur … Rien de semblable n’a encore vu le jour pour les entités naturelles.


Et parmi les nombreux problèmes qui sont nés de cette reductio ad pecuniam de la terre, on trouve le faible nombre de fondations pour sa valeur économique. Seuls les usages humains directs et de court-terme, d’habitat, d’industrie, de commerce ou de loisir, ont été désignés sources de valeur économique.


Exit, donc, les innombrables fonctions, qu’elles soient écologiques, paysagères, patrimoniales, archéologiques, sanitaires, remplies par les sols : celles-ci sont presque intégralement absentes de la valeur – pécuniaire – d’une parcelle dans une économie marchande.


En urbanisme et en aménagement, ce biais a produit des conséquences directes : de nombreuses facettes des sols sont ignorées dans l’économie du projet. Quand on en exclut les sources de valeurs contingentes ou conjoncturelles, la source structurelle de l’économie d’un projet urbain, c’est la charge foncière, c’est-à-dire le prix que vendeur et acheteur donnent aux droits à construire. A contrario, rien, ou très peu, depuis quelques années, n’incite financièrement les acteurs à appliquer un ambitieux recyclage urbain, des espaces déjà bâtis ou tout simplement déjà artificialisés.


Il s’ensuit, on le comprend bien, une incitation forte à la destruction des sols, très rémunératrice et pudiquement appelée « consommation » de terres agricoles, naturelles, forestières. Réciproquement, on constate une désincitation forte à l’évitement, et même à la réduction de cette destruction.


C’est pour tenter de répondre à ce problème fondamental qui fait obstacle au déploiement serein de nos politiques de lutte contre l’artificialisation des sols, de revitalisation des centres-villes, et de renouvellement urbain, que l’Institut de la Transition foncière a développé une méthodologie alternative à l’économie traditionnelle d’une opération.


Au cœur de l’outil de base de valorisation, le bilan d’opération, nous avons tenté de montrer qu’il est possible d’introduire d’autres sources de valeur que la charge foncière.


Il en ressort un bonus-malus facilement calculable à quiconque s’est familiarisé avec les étapes. Nous avons conduit une phase de recherche et d’élaboration théorique, suivie d’expérimentations avec des organisations pionnières (bailleur social, promoteur, collectivité) : leurs résultats sont positifs et ils indiquent une voie pour élargir les sources de la valeur dans l’économie d’un projet.


Cette tentative de valoriser des impacts positifs ou négatifs ignorés, qu’en économie on appelle  « internalisation des externalités », fait surgir deux risques majeurs en matière écologique, dont nous étions conscients tout au long de la démarche. Le premier risque, c’est d’établir un système de droits à détruire (sur le modèle du marché du CO2 ) – dans notre cas, de droits à artificialiser, en permettant qu’une opération d’évitement, ou de renaturation, à un endroit donné, permette de « créditer » une artificialisation à un autre endroit. Le second risque, connu lui aussi, était que la méthode repose sur une monétarisation de chaque service, voire de chaque élément d’un écosystème : le m3 d’eau, la quantité de taxons pour la biodiversité, le poids de matière organique, etc.


Nous avons, je le crois, évité ces deux écueils : la méthodologie qui est présentée dans ce rapport permet à la fois de rester à l’échelle d’une seule opération, et d’avoir une valorisation globale en se fondant sur un devis de travaux global émis par un expert (pas de monétarisation des services écosystémiques).


Les expérimentations sur des terrains réels nous ont fourni de nombreux éclairages sur les perfectionnements possibles de l’outil, les besoins d’amélioration de calculs, connaissances ou hypothèses. J’invite les territoires intéressés à se saisir de cette méthode pour la tester, et j’espère que la poursuite des expérimentations accompagnées par l’Institut n’empêchera pas d’introduire, dès à présent, les principes fondamentaux de cette méthode dans nos outils de politiques publiques : outils de financement nationaux, régionaux ou locaux, outils de reporting, mais également, in fine je l’espère, dans le droit de l’urbanisme. La loi climat et résilience, qui pose enfin un cadre et un objectif de sobriété foncière, date de l’été 2021 ...


Les plus de 20 000 hectares que nous détruisons chaque année d’une ressource non renouvelable à l’échelle humaine – les sols – sont une invitation à agir sans tarder davantage pour doter l’aménagement de son nouveau modèle économique.


Jean Guiony

Urbaniste

Président de l’Institut de la Transition foncière

Membre du Conseil national de l’habitat 



L'intégralité du rapport est disponible ici :








Plus d'articles

bottom of page