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La neutralité foncière, compatible avec le développement des territoires ?

Analyse des rapports entre artificialisation et dynamisme résidentiel et économique



Résumé

Entre 2009 et 2023, plus d’un cinquième des communes françaises ont perdu des ménages tout en consommant du foncier, et plus de 10 % des EPCI ont simultanément perdu emplois et habitants malgré leur artificialisation. L’analyse distingue par ailleurs les logiques à l’œuvre : la consommation d’espaces à vocation résidentielle reste corrélée à la croissance démographique, tandis que celle à vocation économique ne génère pas nécessairement d’activité supplémentaire. L’efficacité foncière varie fortement selon les territoires : un quart des EPCI consomment beaucoup d’espace pour peu de résultats démographiques ou économiques, en particulier dans les zones périurbaines et rurales.

Inversement, le développement sans artificialisation est possible : 54 % des communes n’ayant pas consommé de foncier entre 2009 et 2024 ont pourtant gagné des habitants ou des emplois. Ces trajectoires reposent sur d’autres modèles de développement, mobilisant le bâti existant, notamment les logements vacants — dont le volume excède souvent les besoins de croissance démographique. Le développement local ne dépend donc pas forcément de l’artificialisation, mais de la capacité des territoires à valoriser leurs ressources existantes et à concilier prospérité et sobriété foncière.


Introduction

Selon une note de France Stratégie [1], “nous héritons d’un système de valeurs qui associe ambition d’un territoire et accroissement de la population et de l’emploi local, mais qui considère peu l’apport des espaces non bâtis au développement local.” Pendant les Trente Glorieuses a lieu en France une longue période d’urbanisation (soit l’augmentation de la population citadine), qui s’accompagne d’artificialisation des terres arables entourant les villes, et de la disparition des ceintures maraîchères [2]. Parallèlement, la France connaît une longue période de croissance, avec une augmentation annuelle du PIB de 5,1% [3]. Cette période a conduit à une rupture de série téléologique (inversion [4] entre les moyens et les fins) : plus une commune s’artificialiserait, plus elle se développerait économiquement et démographiquement. La maîtrise de  l’artificialisation des sols entrave-t-elle donc le développement local ? Pour certains acteurs, le ZAN serait synonyme de “mise sous cloche” des territoires qui seraient alors condamnés à perdre en habitants et en activité économique [5]. Dans ce briefing, l’Institut de la Transition foncière propose d’analyser l’idée selon laquelle l’artificialisation des sols est la seule source de développement local en étudiant l’évolution de la démographie et l’emploi des territoires comparé à leur dynamique d’artificialisation.


Chiffres clés

  • Entre 2009 et 2023, plus d’un cinquième des communes (7 820) ont perdu des ménages tout en consommant de l’espace.

  • Entre 2015 et 2021, 140 EPCI, soit plus de 10 % du total, perdent à la fois des ménages et des emplois, alors qu’ils ont consommé du foncier : en moyenne 27,5 ha pour l’habitat et 10,8 ha pour les activités entre 2015 et 2021, pour une perte moyenne de 115 ménages et 295 emplois entre 2015 et 2021.

  • Plus d’un quart des EPCI ont une consommation foncière inefficace. 

  • 54 % des communes n’ayant pas consommé de foncier entre 2009 et 2024 ont pourtant gagné des habitants ou des emplois.


Point méthodologique

Suivant la même ligne que le Cerema pour l’analyse de l’artificialisation des sols, nous utiliserons la terminologie définie dans la loi climat et résilience qui a introduit une définition de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) comme « la création ou l'extension effective d'espaces urbanisés sur le territoire concerné ».


Le développement local est ici associé au gain net de ménages ou d’emplois, suivant les analyses réalisées par le Cerema sur les déterminants de la consommation foncière, ainsi que l’analyse de la DATAR Nouvelle-Aquitaine sur les stratégies de développement territorial. 


1. L’artificialisation mène à des niveaux variables de développement local 

1.1 La consommation d’espaces ne garantit pas d’enrayer la perte d’habitants et d’emplois 

La plupart des communes de France ont consommé des espaces agricoles, naturels et forestiers (ENAF) sur la période 2009-2023 [6]. Toutefois, cette consommation d’espaces n’est pas gage de développement, au sens d’un gain net de ménages ou d’emplois. En effet, plus d’un cinquième des communes (7 820) perdent des ménages tout en consommant de l’espace [7]. 


L’Institut a également analysé le développement des EPCI entre 2015 et 2021 : seule un peu plus de la moitié des EPCI (632/1251) gagne des ménages et des emplois, alors qu’ils consomment des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF). Un développement inverse est même parfois observé malgré la consommation d’ENAF : plus de 10% des EPCI perdent à la fois des ménages et des emplois malgré leur artificialisation des sols


Olivier Bouba-Olga, dans un article de la revue Belveder [8], fait le même constat : entre 2011 et 2022, 45  % des communes et 41  % des intercommunalités ont déjà perdu des habitants, et les projections INSEE annoncent une poursuite du déclin. Malgré ce constat, les territoires persistent dans une logique d’attractivité, entraînant par ailleurs toujours plus d'artificialisation, car leurs ressources dépendent encore du nombre d’habitants. Bouba-Olga appelle à remplacer cette obsession par celle de l’habitabilité territoriale : répondre aux besoins essentiels et au bien être de tous, dans le respect des limites planétaires.


1.2 L’artificialisation pour l’habitat et pour l’activité économique répondent à des dynamiques différentes

La consommation d’espaces à vocation non résidentielle est déconnectée des dynamiques démographiques, au contraire de la consommation d’espaces à vocation résidentielle. La consommation d’espaces à vocation résidentielle est fortement corrélée à la dynamique démographique du territoire (66 %) [9]. En Nouvelle-Aquitaine, l’évolution du nombre de ménages explique 70% des “différences d’évolution de la consommation foncière à vocation résidentielle entre intercommunalités” [10]. Selon cette étude, la persistance de l’idéal du modèle classique du lotissement explique pourquoi une augmentation du nombre de ménages mène encore aujourd’hui à une augmentation de l’artificialisation. 


A l’inverse, la consommation d’espaces à vocation non résidentielle ne semble pas corrélée à la dynamique démographique d’un territoire. Ces espaces peuvent être artificialisés pour des surfaces commerciales, infrastructures de transport, industrie, chantiers, bâtiments agricoles etc. Or, selon l’étude menée en Nouvelle-Aquitaine, cette dynamique de consommation foncière n’explique pas les évolutions du nombre de ménages ou d’emplois des intercommunalités [11]. Ainsi, l’évolution du nombre de ménages ou d’emplois d’un territoire ne peut pas être expliquée par la consommation d’espaces hors logement.


1.3 L’efficacité de la consommation d’espaces varie selon les territoires

Enfin, lorsqu’un territoire consomme des espaces naturels, agricoles, forestiers, cette consommation peut présenter une efficacité variable. Trois régions françaises (Normandie, le Centre Val de Loire et la Bourgogne Franche Comté) sont par exemple en étalement urbain, c’est-à-dire qu’elles artificialisent plus pour le logement qu’elles ne gagnent des habitants, signe d’un manque “d’efficacité” de l’artificialisation. Dans ces trois régions, le ratio entre l’évolution du nombre de ménages et celle de la surface consommée pour l’habitat est inférieur à 1. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que les régions dont ce ratio est supérieur à 1 ont une démarche de sobriété foncière - ils gagnent simplement plus d’habitants qu’ils ne consomment d’ENAF pour le logement, mais elles artificialisent tout de même les sols.


Plus de 25% des EPCI présentent une faible efficacité dans leur artificialisation. C’est ce qu’explique une analyse de France Stratégie menée à l’échelle des EPCI [12], qui représente l’efficacité de consommation d’espace pour l’habitat et pour les activités entre 2011 et 2021 (Figure 1). 


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Figure 1 : Typologie des espaces des consommations d’espaces naturels, agricoles et forestiers des EPCI en fonction du niveau de consommation et de l’efficacité de la consommation

Source : France Stratégie 


Les EPCI représentés en orange sont les moins efficaces dans leur consommation d’espace : ils présentent à la fois une forte consommation d’espace (en nombre d’hectares consommés et part de la superficie de leur territoire consommée) tout en ayant une faible efficacité de la consommation. Ce sont des territoires périurbains et ruraux, qui correspondent à 6% des EPCI et 6% de la population. Les EPCI en magenta présentent également une faible efficacité ; ils correspondent majoritairement à la “diagonale des faibles densités”, et accueillent 5% de la population sur 20% des EPCI. En tout, ces deux catégories d’EPCI constituent 26% des EPCI français, qui présentent une faible efficacité de leur consommation d’espaces


2. Le développement local est possible sans artificialisation des sols

2.1 Il existe des exemples de développement sans artificialisation

Le développement local, par gain d’habitants ou d’emplois, est possible sans artificialiser les sols. D’après l’analyse de l’Institut, entre 2009 et 2024, un total de 435 communes n’ont pas artificialisé leurs sols, soit 1,2 % des communes françaises. Parmi elles, 54% (235 communes) ont gagné des habitants et/ou des emplois


La commune de Don, dans le département du Nord, a par exemple connu un développement local sans aucune artificialisation. En effet, cette commune n’a consommé aucun ENAF entre 2011 et 2024 [13], alors qu’elle avait pourtant des espaces agricoles théoriquement artificialisables [14]. En dépit de cette sobriété foncière, la ville a connu entre 2015 et 2021 une augmentation du nombre de ménages (entre 30 et 100) et une stagnation des emplois (plus ou moins 50 emplois) [15]. 


2.2 La consommation d’espaces est évitable à condition de se “développer autrement”

La majorité de la consommation d’espace se produit dans des communes en zones dites détendues (zonage A, B, C). Le Cerema montre en effet que 61,4% de la consommation d’espace se produit en zone C, et ce chiffre monte à 65,7% pour la consommation pour habitat [16]. 


Le zonage national des communes selon le degré de tension du marché du logements

Un zonage national des communes, dit “ABC”, permet de caractériser localement le déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. Tenu à jour par le ministère chargé du logement, en application de l’article D. 304-1 du code de la construction et de l’habitation [17], trois zones sont créées, les zones A (qui comprend la zone A bis), B (constituée des zones B1 et B2) et C, de la plus à la moins tendue. Bien que la méthodologie de classification des communes ne soit pas publique, et que cette classification soit la base de dispositifs fiscaux, elle nous permet d’éclairer la consommation d’Enaf sous un nouvel angle.


L’artificialisation en zone détendue paraît évitable, en mobilisant notamment des logements vacants. Selon l’analyse de l’Institut, dans 70% des EPCI, l'augmentation de la population entre 2010 et 2024 est inférieure au nombre de logements vacants. De manière schématique, chaque nouvel habitant aurait donc pu loger dans un logement déjà existant dans l’intercommunalité. Ces 861 EPCI ont par ailleurs consommé plus de 131 000 hectares à destination du logement ces 15 dernières années, soit 40% de la surface d’ENAF consommée en France depuis 2011. Avec une politique de réhabilitation ambitieuse des logements vacants, et en admettant que les typologies de logements demandées correspondaient à l’offre réhabilitée, une partie de ces hectares auraient été préservée tout en conservant le même niveau de développement


C’est également ce qui est mis en avant par le récent rapport “Loger sans artificialiser” de plusieurs associations [18] : la région Ile-de-France pourrait produire les 70 000 logements par an qu’elle est tenue de construire chaque année par la loi Grand Paris [19] sans artificialiser les sols. En effet, les ONG identifient un gisement de logements vacants considérable (112 000 logements), ainsi que qu’une possible reconversion de bureaux vacants, de friches, de surélévation du bâti existant, et de densification douce. 


3. Le développement local est à aller chercher dans d’autres facteurs que l’artificialisation 

Nous héritons d’une système de valeurs et instruments, issus du XXème siècle et des deux premiers “âges de la planification territoriale” [20], qui continuent d’influencer nos pratiques d’aménagement et compromettent l’atteinte de l’objectif ZAN. Il est urgent de faire évoluer ce système afin d’interrompre la dégradation des sols par l’extension de l’urbanisation.


Pour cela, la note de France Stratégie propose que les collectivités “remett[ent] les espaces non bâtis au centre de leur stratégie territoriale, afin de passer d’une logique de développement fondée sur la consommation d’espace à une logique d’attractivité et de résilience fondée sur l’amélioration de la fonctionnalité écologique de son territoire. Elles pourront ainsi découpler développement et consommation d’espace” [21]. L’idée est de faire évoluer — ou d’étendre – la notion de développement territorial afin qu’elle prenne en compte les fonctionnalités écologiques des sols. 


Il y a donc un impératif de re-territorialisation et de décentralisation des activités économiques, de lutte contre les phénomènes de métropolisation, de littoralisation et de sur-tourisme. Comme le propose la Fondation Jean-Jaurès dans une note [22], afin de redynamiser “la France des bourgs ruraux et des sous-préfectures”, il y a la nécessité de procéder à une décentralisation économique de la France, et les métropoles doivent être les cheffes de file de la sobriété foncière, car c’est là qu’elle sera la plus facile à atteindre.


[1] Sarah Tessé, Concilier Sobriété Foncière et Développement Local : Retours Du Terrain (Haut Commissariat à la Stratégie et au Plan, 2025), https://www.strategie-plan.gouv.fr/files/files/Publications/2025/2025-07-15%20-%20NA%20157%20-%20Sobri%C3%A9t%C3%A9%20fonci%C3%A8re/HCSP-2025_NS-Sobri%C3%A9t%C3%A9%20fonci%C3%A8re_15juillet-10h30.pdf




[4] Matthieu Goar, ZAN : nouvelle offensive des sénateurs contre l’objectif de zéro artificialisation nette des sols, October 9, 2024, https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/10/09/zan-nouvelle-offensive-des-senateurs-contre-l-objectif-de-zero-artificialisation-nette-des-sols_6347486_3244.html.



[6] Martin BOCQUET et al., “Analyse de la consommation d’espaces : période du 1er janvier 2009 au 1er janvier 2023,” 2024, https://doc.cerema.fr/Default/doc/SYRACUSE/601069/analyse-de-la-consommation-d-espaces-periode-du-1er-janvier-2009-au-1er-janvier-2023.


[7]  ibid. 


[8] BOUBA-OLGA, Olivier. « Croissance de la population : une dangereuse obsession ». BelvedeЯ +, 24 octobre 2025. https://revue-belveder.org/index.php/croissance-de-population-dangereuse-obsession/.


[9] « Une consommation d’espace pour l’habitat principalement due à la croissance démographique - Insee Analyses Occitanie - 150 ». Péalaprat et Legait. 2024. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8180238#figure1.




[12 ] Arambourou, Hélène, and Coline Bouvart. L’artificialisation Des Sols : Un Phénomène Difficile à Maîtriser. 2023.


[13] Visualisation des flux de consommation d'espace pour la période du 1 er janvier 2011 au 1er janvier 2024, Portail de l’Artificialisation, https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/cartographie-artificialisation


[14] « Cadastre Don ». Consulté le 3 novembre 2025. https://lecadastre.com/plan-cadastral/don-59670/.


[15] Visualisation des flux de consommation d'espace pour la période du 1 er janvier 2011 au 1er janvier 2024, Portail de l’Artificialisation, https://artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/cartographie-artificialisation


[16]  ibid.


[17] Article D304-1 - Code de la construction et de l'habitation https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038970859


[18] Gabaude, Margot, Lucas Boucaud, and Adèle Grimault. Loger sans artificialiser. France Nature Environnement, 2025.


[19] LOI N° 2010-597 Du 3 Juin 2010  Relative Au Grand Paris (1), 2010-597 (2010).


[20] Arambourou and Bouvart, L’artificialisation des sols : un phénomène difficile à maîtriser (Haut-commissariat à la stratégie et au plan, n.d.), accessed November 3, 2025, https://www.strategie-plan.gouv.fr/publications/lartificialisation-sols-un-phenomene-difficile-maitriser.


[21] ibid



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