Pour une transition foncière socialement juste et territorialement différenciée
Le rapport « Artificialisation. Réussir le ZAN en réduisant le mal-logement : c’est possible » (mars 2024) de la Fondation Abbé Pierre (FAB) et de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) aborde la question du logement et du Zéro Artificialisation Nette dans l’optique d’une transition foncière, écologique et socialement juste.
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Éviter, Réduire, Réguler : les conclusions du rapport
Ce rapport de mars 2024 de la FAB et de la FNH propose une vision positive d’une véritable transition foncière, écologique et socialement juste, en faisant du ZAN une occasion de réinterroger notre modèle d’aménagement. Il est le fruit d’un travail approfondi de problématisation et d’enrichissement à partir d’entretiens avec des acteurs de terrain (collectivités locales, acteurs du foncier et du logement). Il répond à la question d’une production de logements compatible avec l’objectif Zéro Artificialisation Nette, que nous pourrions résumer en « Éviter – Réduire – Réguler le foncier ». L’analyse et les solutions sont en effet découpées en trois volets : « Produire du logement sans artificialiser » - « Construire en artificialisation moins » - « Maîtriser les prix du foncier et de l’immobilier ». Les éditeurs du rapport en ont synthétisé les principaux apports sur leur site (ici pour la FAB ; là pour la FNH), et voici les grands axes que nous retenons.
Produire du logement, ce n’est pas forcément construire des logements neufs. Il existe d’autres leviers pour répondre aux besoins en logement, notamment à partir du parc bâti existant. À ce titre, les propositions du rapport concernant les logements vacants, les résidences secondaires, les meublés touristiques, ou la sous-occupation liée à la transition démographique sont à étudier avec la plus grande attention, en particulier :
Intégrer une « servitude de résidence principale dans les PLU(i), sur le modèle de la servitude de logement social », afin de maîtriser le développement des meublés touristiques, non seulement dans leur proportion mais aussi dans leur localisation ;
Mettre en place une fiscalité progressive sur les logements vacants et les résidences secondaires, en réponse à la concentration d’une part croissante du parc bâti dans les mains de multipropriétaires.
Le système de l’aménagement français peut produire plus de justice socio-spatiale à travers le ZAN, notamment à travers des outils de régulation des valeurs foncières, voire de captation publique de la rente foncière. Nous retenons en particulier les propositions suivantes :
Mettre en place une « contribution de solidarité urbaine » pour réorienter une partie de la plus-value des ventes les plus chères dans les quartiers ségrégués vers la production de logement social ;
Créer une taxe unique sur les plus-values de cessions de terrains nus devenus constructibles, dans toutes les communes, avec un taux fixe à 70%, et supprimer la réduction progressive de l’assiette d’imposition pour chaque année au-delà de la 18e année de détention, qui encourage la rétention foncière ;
Mettre en place des référentiels de prix du foncier au niveau des intercommunalités, avec un niveau maximal de charge foncière au-delà duquel l’EPCI ne contribue plus au financement du projet.
Le ZAN en débat ? Une occasion inédite de réguler la ressource foncière dans un but de réduction des inégalités.
Pour la FNH, le rapport s’inscrit dans la continuité d’un axe de travail permanent sur la biodiversité, dans lequel l’artificialisation des sols a pris une importance croissante depuis la loi Climat & Résilience [1]. Pour la Fondation Abbé Pierre, dont l’action s’est historiquement bâtie sur l’accès au logement pour les plus démunis, ce rapport est l’occasion d’un élargissement du champ vers la question du logement abordable en général, dans un contexte de crise aiguë [2].
Alors que l’objectif ZAN est soumis à la critique depuis son intégration dans la loi en 2021, et que la conjoncture de la production de logements se dégrade sérieusement depuis 2023, il aurait été tentant d’opposer l’objectif de préservation des sols et la promesse d’un accès au logement pour chacun. Au contraire, ce rapport nous propose une clé de résolution de cet antagonisme apparent : notre modèle d’aménagement est doublement dysfonctionnel, il ne permet en l’état ni de préserver les sols ni de produire du logement abordable pour tous. Il faut alors le revisiter de fond en comble : le ZAN est l’occasion de le remettre en question pour un « urbanisme plus juste et plus résilient », de réinterroger les pratiques des acteurs et le régime de régulation de la ressource foncière. Pour ce faire, il est nécessaire de croiser les leviers d’actions : la lutte contre la vacance des centres anciens et la lutte contre la métropolisation en sont de bons exemples.
Inégalités territoriales : ZAN et métropolisation
Derrière les débats techniques du ZAN sur la mesure de l’artificialisation ou sur la répartition des efforts de réduction de la consommation d’espace, rares sont les questions « aménagistes » et sociales sur le devenir des territoires, telles que posées ici par le rapport FNH/FAB : comment le ZAN peut-il être un vecteur de réduction d’inégalités socio-spatiales ?
En termes d’équilibre territorial, le risque demeure que les efforts de production de logement ne se concentrent que sur les aires métropolitaines, soit “là où sont les besoins”. En effet, en se fondant sur les travaux de la Fondation Abbé Pierre, les auteurs évaluent un besoin de production de logements « d’au moins 400 000 logements par an pendant 10 ans, dont 150 000 logements sociaux », ayant vocation à être produits en priorité dans les « zones en tension ». Si l’objectif de « résorber le mal-logement, loger les ménages supplémentaires et détendre le marché des zones tendues » est essentiel, la mise en place du ZAN doit pour les auteurs s’accompagner d’une « meilleure et plus juste répartition de la population sur le territoire », c’est-à-dire, une forme de démétropolisation [3], afin que les besoins de demain ne se cantonnent pas aux grandes villes ; le programme Action Cœur de Ville a par exemple montré que des efforts coordonnés de réhabilitation et de densification des centres-villes des villes moyennes avaient un potentiel de création de logements.
Des réponses différenciées doivent donc être apportées entre les aires métropolitaines, littorales ou rurales attractives, et les territoires en déprise, y compris les villes petites et moyennes [4]. Appréhender le ZAN comme support d’une transition vers un urbanisme plus juste permet alors d’articuler la question des inégalités socio-spatiales à différentes échelles, intra (dynamiques de ségrégation et d’éviction centrifuges des métropoles, implosion des centres bourgs peu attractifs) et interterritoriales (solidarités territoriales dans le financement du ZAN, mécanismes de péréquations économiques entre les espaces où se créent les plus-values d’urbanisation et les autres) [5].
Morphologie urbaine : ZAN et taux de vacance
La lutte contre la vacance du logement est un excellent exemple de la nécessité de territorialiser les réponses à apporter au ZAN. Les auteurs l’évoquent au détour de la partie « Produire du logement sans artificialiser », à l’occasion d’un développement sur la lutte contre la vacance comme réponse au ZAN : « plus d’un tiers des surfaces nouvellement artificialisées sur la période 2006-2015 se situaient dans des communes où le taux de vacance avait augmenté de plus de 50% dans le même temps – avec 9 de ces communes sur 10 se trouvant dans des zones non-tendues » (p. 26).
Crédit : Martin Etienne (site)
Dans ces zones « non tendues », extension urbaine et hausse de la vacance semblent aller de pair. Nous proposons de tirer un peu plus loin sur cette pelote. Le rapport, s’appuyant sur des données Insee entre 2009 et 2020, pointe la situation fragile de nombreuses villes petites et moyennes: « les taux de vacance sont systématiquement plus élevés dans les communes-centres des aires d’attraction des villes », « les plus importants se trouvent dans les communes-centres des aires de moins de 200 000 habitants, tandis que la progression la plus rapide s’est faite dans les aires de moins de 50 000 habitants » (p. 24).
La problématique de la vacance du logement dans les centres bourgs est liée à une histoire plus complexe, celle du déclin de ces villes autrefois constitutives de « l’armature urbaine hiérarchisée » [6]. La crise d’attractivité vécue par ces territoires est systémique (emploi, commerce, logements, espaces publics, …) : elle ne se réduit pas à une concurrence entre les centres bourgs et leurs périphéries qui ont pratiqué une forme de dumping foncier pour tenter d’attirer les ménages et les entreprises. Le ZAN, qui met fin à ces tentatives de « produire de l’attractivité » périphérique, doit alors être accompagné de mesures plus ambitieuses pour redonner une chance aux centres de se redévelopper en mobilisant notamment le bâti vacant. À ce titre, le rapport formule des propositions pour améliorer la « boîte à outils des politiques de l’habitat » :
Harmoniser la fiscalité sur les logements vacants et l’orienter stratégiquement vers les multipropriétaires (pour les conduire à faire des arbitrages sur leur patrimoine)
Renforcer le dispositif coercitif pour donner aux communes les moyens d’agir (en particulier faciliter les procédures de réquisition à la fois pour en faire une menace crédible et un véritable levier)
Accroître les aides pour mieux accompagner les propriétaires les plus modestes et diminuer le reste à charge
Si ces mesures permettent de mobiliser le bâti vacant, elles ne constituent pas pour autant une réponse pour retrouver une forme d’attractivité des centres. Le rapport fournit un peu plus loin des propositions concernant la revitalisation, en particulier le soutien à de nouveaux opérateurs, dont les acteurs de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS). Ces acteurs sont en capacité d’intervenir mais nécessitent plus de soutien, en particulier, l’accès à des garanties publiques sur les emprunts bancaires, l’accès à des financements de long terme ou à des prêts à taux zéro.
Le rapport de la Fondation Abbé Pierre et de la Fondation pour la Nature et l’Homme constitue une contribution originale aux débats sur notre modèle d’aménagement. L’Institut de la Transition Foncière adhère pleinement à son message : nous pouvons à la fois préserver les sols et répondre aux besoins en logements, y compris des plus modestes. Conjuguant une vision d’ensemble cohérente et des propositions précises et étayées, il s’agit d’une lecture nécessaire dont chacun peut se saisir et le confronter à des situations territoriales pour tenter d’y apporter les réponses adaptées.
[1] Ce rapport fait suite à une première contribution « Artificialisation des sols : état des lieux d’un défi complexe », publiée en juin 2022 par la FNH, sous la plume de Rémi Guidoum, co-auteur du présent rapport, avec le soutien d’opérateurs publics volontaristes sur le ZAN (ADEME, Caisse des Dépôts et Consignations, Office Français de la Biodiversité).
[2] Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, a d’ailleurs été un des co-pilotes du Conseil National de la Refondation (CNR) dédié au logement en 2023 aux côtés de Véronique Bédague (Nexity), et avait donc été amené à formuler, au nom du CNR, des recommandations pour l’ensemble du secteur du logement.
[3] Eric Charmes reconstitue dans cet article les raisons de l’attrait pour l’argument de la démétropolisation pour l’écologie politique, en même temps que les doutes sur son opérationnalité à court-moyen terme.
[4] Voir à ce sujet : Jean-Marc Offner, ZAN saison 2 : Un mode d’emploi alternatif du « zéro artificialisation », Urbanisme (en ligne), 2023
[5] Ces réflexions sont notamment portées dans le cadre du projet de recherche collectif ResiZAN (2022-2025), coordonné par Raphaël Languillon-Aussel (IFRJ-MFJ), auquel participe Maxence Naudin, membre de l’Institut de la Transition Foncière
[6] Thérèse Saint-Julien, « La fin d’un modèle hiérarchique », Urbanisme, n°378, 2011
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