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Le 19 novembre 2024 a été promulguée la loi Le Meur, aussi appelée “loi anti-Airbnb”, qui vise à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale. Cette loi transpartisane entend freiner la croissance exponentielle du phénomène d’éviction des logements du marché locatif permanent au profit de la location meublée touristique, afin de répondre à la pénurie de logement, bien que cette dernière soit multifactorielle. Cette tendance, en plein essor depuis une décennie, amplifie les tensions dans les zones tendues ou touristiques et prive le marché locatif d’une part essentielle de son parc. Dans un contexte de limitation de l’étalement urbain en vue de l’atteinte de l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) d’ici à 2050, l’encadrement de l’occupation touristique des logements à vocation d’habitation apparaît comme un levier nécessaire de la sobriété foncière.
Des besoins en logements auxquels la seule construction neuve ne suffit pas à répondre
D’abord, les estimations des besoins en logements varient. Selon le rapport du Conseil National de l’Habitat (CNH) publié en janvier 2023, la France devrait construire entre 330 000 à 382 748 logements par an, en intégrant une croissance de 47 000 à 83 750 résidences secondaires et logements vacants, à laquelle on additionne 50 000 logements liés aux besoins de renouvellement du parc [1]. L’estimation de la demande potentielle de logement est donc auto-alimentée puisque la méthode de chiffrage est calculée sur deux flux :
La population : tendances démographiques, desserrement des ménages (diminution de la taille moyenne des ménages ou du taux d'occupation des résidences principales), évolutions de la population hors ménage [2]
Le nombre de résidences principales : renouvellement du parc, résorption du mal-logement, variation des résidences secondaires et occasionnelles et évolution des logements vacants.
Une forte concentration de besoins est observée dans les grandes métropoles telles que Lyon, Bordeaux, Toulouse, Nantes ou Rennes, où le phénomène de desserrement des ménages est particulièrement marqué de même que la croissance démographique. A l’inverse, en Corse et sur certains littoraux, c’est davantage l’évolution du nombre de résidences secondaires qui explique ces besoins en logements. En faisant varier ces derniers paramètres (le taux de vacances et le taux de résidences secondaires comme ci-dessous), l’ADEME obtient par exemple des scénarios très différents allant de 111 000 (scénario 1) à 348 000 (scénario 3).

Ensuite, la construction neuve s'est accompagnée d’une augmentation de la vacance. Si le calcul de la demande de logement reste en litige, il reste que le rythme de construction de logements est particulièrement soutenu en France, avec environ 330 000 logements neufs annuels ces dernières années, et se situe, avec 7,5 logements construits pour 1 000 habitants, bien au-dessus de la moyenne européenne (4,1 ‰), alors que le besoin de logements semble ne pas se résorber. Un déficit d’offre sur le marché devrait cependant se traduire notamment par une baisse du taux de vacance des logements ; or, le nombre de logements vacants a augmenté de 80 000 par an depuis le milieu des années 2000. En schématisant, un quart des logements construits contribue à vider des logements existants.

Enfin, la tension locative dépend aussi largement du niveau des loyers par rapport au budget des ménages. Elle représente la difficulté pour un locataire à trouver un logement dans un territoire donné. Cette tension apparaît particulièrement forte sur le logement social : en France en 2018, seule une demande de logement social sur 4,4 était satisfaite, et le nombre est en continuelle augmentation depuis 1996. Là encore, il ne suffit pas seulement de construire mais de récupérer dans le parc social des logements libres actuellement sur le marché.

Les meublés touristiques, une pression supplémentaire sur le parc de logements
A cette pression de la vacance s’ajoute l’accaparement d’une partie du marché par les meublés touristiques, en constante augmentation depuis les années 2010, en grande partie grâce à l’essor des plateformes numériques comme Airbnb, Booking, Abritel, etc., facilitant la mise en location de logements pour des courtes durées. Pour rappel, « les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois. » (Article L. 324-1-1 du Code du tourisme). On estime le nombre de logements mis en meublés touristique à 800 000 pour l’année 2021, contre 300 000 en 2016 [3]. Actuellement, près de 20 % des nuitées saisonnières s’effectuent dans des logements de particuliers dédiés à la location touristique, d’après une publication de la Direction générale des Entreprises [4].
Les meublés ne concernent pas uniquement des zones littorales, mais aussi des zones métropolitaines extrêmement tendues. Huit villes françaises figurent dans le top 50 des villes européennes enregistrant le plus grand nombre de nuitées sur Airbnb, parmi lesquelles Paris, Nice, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg et Montpellier. Ces villes concentrent à elles seules près d’un quart des nuitées Airbnb en France. A cela s’ajoute l’augmentation des logements secondaires (9,8%). Si les résidences secondaires sont historiquement concentrées dans les zones touristiques, notamment le long des littoraux et dans les massifs montagneux (Alpes du Nord, Pyrénées, Massif Central, Corse, Vosges), liés aux aménités touristiques, depuis 2010, leur augmentation dans les grandes villes, telles que Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse ou Lille, traduit une mutation des dynamiques immobilières [5]. À Paris, par exemple, la part des résidences secondaires a progressé de 1,6 % tandis que celle des résidences principales a reculé de 2,4 %, une tendance similaire ayant été observée à Lyon (+2,1 % contre -2,3 %). Ainsi, cette évolution traduit une transformation du marché immobilier urbain, où les grandes villes accueillent de plus en plus de multipropriétaires (24 % des ménages) au détriment des résidents principaux.

Exemples et effets locaux : un rapport de septembre 2023 sur Marseille révèle que 40 % des meublés touristiques ont changé de propriétaire après 2020, contre seulement 15 % pour l’ensemble du parc immobilier marseillais, indiquant une tendance à l’achat de biens spécifiquement destinés à la location saisonnière. Concrètement, le phénomène des meublés accentue la tension locative à Marseille, notamment dans les quartiers attractifs. Dans le même temps, les prix de l'immobilier ont bondi de 25 % entre 2019 et 2022, particulièrement dans les arrondissements du centre-ville où les phénomènes de gentrification ont été largement étudiés, puisque l’intensification des locations touristiques amplifient un phénomène d’éviction des populations résidentielles aux plus faibles revenus [6]. Une étude menée sur huit grandes villes françaises de 2014 à 2015 montre que l’augmentation du nombre de meublés de tourisme a un impact positif et significatif sur les loyers à Paris (+0,5%), Lyon (+0,4%) et Montpellier (+0,4%) [7]. Ainsi, la réduction de l’offre locative au détriment des résidences secondaires ou des meublés touristiques contribue à la hausse des loyers et à l'accroissement du mal-logement, et génère d’autres externalités négatives en termes de commodités, de vie de quartier, et par extension aliementent une artificialisation supplémentaire ayant un coût écologique sur les sols. |
Pour limiter ce phénomène, certaines collectivités ont tenté d’agir. D’abord, à travers la possibilité d’interdiction de mise en location de plus de 120 nuitées - soumise à amende - permise par les plateformes dès 2019. Aussitôt, des stratégies d’évitement de la part des propriétaires se sont développées, notamment via l’obtention d’un statut commercial pour le logement, voire l’établissement de faux baux commerciaux. A Lyon, où le nombre de demandes de changement d’usage de logements en meublés touristiques avait augmenté de 50 % entre 2021 et 2022, la réglementation a été renforcée en 2022 [8] en limitant les autorisations et en soumettant toute demande de changement d’usage vers un meublé de tourisme en centre-ville à une compensation : la mise en location classique d’un logement de même taille situé dans le même arrondissement. Enfin, en 2023, des villes telles que Biarritz, Saint-Malo ou Nice, confrontées à une pénurie de logements de longue durée en raison de la prédominance des locations saisonnières, ont interdit les boîtes à clefs.
De même, la Loi Le Meur récemment adoptée vise à rétablir un équilibre entre l’offre de tourisme et l’offre de location de longue durée :
Elle réduit les avantages fiscaux qui favorisaient jusqu’alors les meublés touristiques au détriment du logement classique. Pour les meublés classés et chambres d’hôtes, l’abattement passe de 71 % à 50 %, avec un plafond de 77 700 € de revenus annuels (contre 71% aujourd’hui dans la limite de 188 700€), avec une exception pour les zones rurales conservent un taux de 71 %. Les meublés non classés voient leur abattement abaissé à 30 %, avec un chiffre d’affaires plafonné à 15 000 €, contre 50 % dans la limite de 77 700€ aujourd’hui.
La loi introduit une obligation généralisée de déclaration via un téléservice national dédié. Au plus tard le 20 mai 2026, chaque loueur devra enregistrer son bien et prouver qu’il s’agit de sa résidence principale, notamment en fournissant un avis d’imposition. Cette obligation remplace la simple déclaration sur l’honneur et donne aux communes les moyens de contrôle.
En termes de performance énergétique, tout meublé de tourisme soumis à un changement d’usage devra disposer d’au moins un DPE E en 2025, puis d’au moins un DPE D à partir de 2034, conformément à la loi Climat et Résilience.
Les maires voient leurs prérogatives renforcées : ils pourront définir des quotas d’autorisation de meublés de tourisme et ainsi réserver des secteurs pour les constructions de résidences principales dans leur plan local d’urbanisme (PLU), réduire le seuil annuel maximal de jours de location touristiques des résidences principales de 120 à 90 jours, et prononcer des sanctions administratives allant jusqu’à 10 000 € pour défaut d’enregistrement ou 20 000 € pour fausse déclaration.
À partir de 2025, tout copropriétaire louant un meublé de tourisme devra en informer le syndic. Les nouveaux règlements de copropriété devront stipuler explicitement l’autorisation ou l’interdiction de ces locations. Une majorité qualifiée (deux tiers des voix) suffira désormais pour interdire ces activités, contre l’unanimité auparavant.
3. Les meublés touristiques : des logements vacants ?
Les avancées permises par la loi Le Meur sont certaines. Or, le phénomène est tel qu’il pourrait être souhaitable d’aller encore plus loin et d’inclure les meublés touristiques parmi les logements vacants. En effet, bien loin d’un simple report de l’hôtellerie vers les meublés touristiques, dans ce qu’on pourrait imaginer être un jeu à somme nulle, les meublés touristiques sont vides une grande partie de l’année.
Le rapport sur Marseille précité révèle que plus de 5% du parc de logements est désormais dédié aux meublés touristiques dans les arrondissements centraux [9]. Ces logements sont pourtant largement sous-occupés. Sur l’ensemble des 12 185 logements analysés, 30 % des meublés touristiques sont loués moins de 20 nuitées par an, tandis que seuls 21 % dépassent les 120 nuitées. Ces chiffres sont à mettre en regard, dans l’exemple marseillais, du taux de remplissage des hôtels, de 71 % en 2023 sur l’année selon l’Office de Tourisme. En comparaison, les meublés touristiques affichent un taux d’occupation estimé en moyenne à 30 %, avec des disparités selon les sources et les territoires. Cette inoccupation 70% du temps les rapprochent de logements vacants, eux-mêmes définis de manière restrictive. Selon l’Insee, un logement est considéré comme vacant lorsqu’il est inoccupé pour diverses raisons (mise en vente, succession en attente, conservation pour usage futur, vétusté, etc.) et est resté vide depuis au moins un an au 1ᵉʳ janvier de l’année d’imposition. En zone tendue, cette vacance entraîne l’application de la taxe sur les logements vacants, une mesure destinée à inciter les propriétaires à remettre leurs biens sur le marché locatif.
Les meublés touristiques échappent donc à cette fiscalité. Or selon le Fond friches, "est considéré comme devant être requalifié un îlot d’habitat avec soit une concentration élevée d'habitat indigne et une situation économique et sociale des habitants particulièrement difficile, soit une part élevée d'habitat dégradé vacant et un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements”. La vacance change donc ici de statut, puisqu’elle apparaît comme un gisement de nouveaux logements : à son tour, il faudrait modifier le statut des meublés de tourisme.
Dans un contexte de sobriété foncière, il devient nécessaire de faire évoluer la définition des logements vacants afin de définir différents échelons de vacance : logements vacants, résidences secondaires, meublés touristiques... Cela permettrait d’aligner le régime de taxation des meublés touristiques sur celui des logements vacants situés en zones tendues. De même, une taxation plus contraignante des résidences secondaires dans ces zones pourrait inciter davantage de propriétaires à mettre leurs biens sur le marché locatif du logement longue durée, du moins pendant plusieurs mois consécutifs dans l’année.
En conclusion, la mise en œuvre de la sobriété foncière dépasse la seule réflexion sur la construction neuve ; elle nous engage à une refonte des outils fiscaux, techniques et réglementaires de l’aménagement pour encourager et solvabiliser la densification des espaces déjà bâtis et la rénovation du parc existant. Il est notamment indispensable de se saisir de la fiscalité pour résoudre l’équation de la fabrique de la ville et acter ce changement de regard sur les différentes ressources collectives : les sols, mais aussi le logement. Dans ce cadre, la lutte contre la vacance et la régulation des changements d’usage à des fins touristiques s’imposent comme des leviers clés pour lutter contre la crise du logement et l’étalement urbain : des modèles comme celui de Bruxelles [10], où une fiscalité dissuasive a permis de réduire le nombre d’habitations inoccupées, pourraient inspirer le cas français.
[1] Rapport du CNH, janvier 2023
[2] Les personnes vivant dans des habitations mobiles, les bateliers, les sans-abris, et les personnes vivant en communauté (foyers de travailleurs, maisons de retraite, résidences universitaires, maisons de détention, etc.) sont considérées comme vivant hors ménage.
[3] Exposé des motifs de la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue, n° 1176, déposée le vendredi 28 avril 2023
[4] Direction générale des Entreprises (DGE), n°11, publiés en juin 2023
[5] Arnaud Brennetot, “Des résidences secondaires qui encombrent les villes ?”, réalisée en 2024
[6] López‐Gay, Antonio, et al. "Urban Tourism and Population Change: Gentrification in the Age of Mobilities". Population, Space and Place, vol. 27, janvier 2021
[7] Ayouba, Kassoum, et al. "Does Airbnb Disrupt the Private Rental Market? An Empirical Analysis for French Cities". International Regional Science Review, vol. 43, janvier 2020
[7] Citation issue d’un article publié par Franceinfo, le 17 juin 2023.
[8] Encadrement des meublés de tourisme, dossier de presse de la Ville de Lyon, publié en avril 2022.
[9] Rapport d’étude du Cerema intitulé Analyse des meublés touristiques et de leurs propriétaires à Marseille en 2023, publié en septembre 2024.
[10] La ville de Bruxelles a instauré une législation interdisant de laisser un logement vacant plus de douze mois consécutifs. À défaut, les propriétaires s’exposent à une amende de 500 euros par mètre de façade, multipliée par le nombre de niveaux inoccupés et d’années d’infraction. Cette mesure a prouvé son efficacité : seuls 4 500 logements sont actuellement inoccupés dans la région.