Ce texte est un extrait d'une contribution de l'Institut de la Transition Foncière au Conseil National de la Refondation émise en mai 2023.
“Pour une politique nationale de transition foncière articulant modèle économique et politique des communs”
L’Institut de la Transition Foncière est une association loi 1901, fondée à l’initiative d’acteurs publics et privés, ayant pour objectif de réunir une filière autour de la transition foncière. Il s’agit de replacer la préservation du foncier et des sols vivants au centre de la question urbaine et territoriale, tant dans les milieux liés à l’aménagement et à la construction que dans la société civile, et de devenir un lieu de rassemblement et d’élaboration de pensée autour de cette question au niveau local, national et européen. L’Institut a pour objet la production d’outils, le soutien à la recherche et la mise en réseau des parties prenantes pertinentes sur les enjeux de la transition foncière. L’association est apolitique dans ses missions, ses conseils et ses relations. |
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Résumé
Le Conseil national de la Refondation doit permettre d’abord de rassembler en une politique cohérente l’ensemble des initiatives qui concourent à une gestion plus durable des sols, ensuite de concilier un objectif de meilleure préservation des sols et celui d’accès égal à la ressource foncière et de développement des activités humaines (accès au logement, création d’activités économiques, etc.).
L’Institut de la Transition foncière formule plusieurs propositions, qui s’articulent autour de ce double objectif, afin, d’une part, de permettre la prise en compte par le marché des fonctions écosystémiques des sols et de services écologiques qu’ils rendent ; et d’autre part, la protection dans une logique de communs, d’une partie de la ressource foncière.
Introduction
Les sols vivants sont un pilier indispensable de la transition écologique : parce que nous vivons dessus, parce qu’ils nous protègent des catastrophes naturelles et des phénomènes climatiques extrêmes, parce qu’ils stockent d’immenses quantités de CO2, parce qu’ils abritent 25% de la biodiversité mondiale, ou, parce que, enfin, ils sont le support d’un patrimoine naturel et paysager. Or l’artificialisation, le recul du trait de côte, l’érosion, les chaleurs extrêmes, et même la désertification, sont en progression rapide en Europe. Il y a urgence à changer de paradigme sur cette ressource qui est avant tout notre habitat en tant qu’espèce. Les sols vivants sont la nouvelle frontière, et doivent devenir, aussi, la nouvelle filière de la transition écologique. La “transition foncière” n'atteindra ses objectifs que si elle ne s'arrête pas au seuil de quelques labels ou compensations, aussi utiles soient-ils. C’est bien l’ensemble de notre manière d’aménager, de gérer et de vivre les sols qui doit muter.
L’entrée dans les années 2020 signe une rupture dans notre rapport aux sols : la prise de conscience, par toute la société et non plus les seuls scientifiques et acteurs avertis, de la fin de l’abondance foncière. Les sols constituent le support et la ressource non seulement du développement de nos activités, mais également du bon fonctionnement des écosystèmes (biodiversité, cycle de l’eau, etc.). Cette rupture se matérialise déjà, de façon partielle, par des actions sectorielles, comme sur l'artificialisation avec l’objectif Zéro Artificialisation Nette et la loi Climat & Résilience; ou sur la restauration de la biodiversité des sols agricoles avec la politique de soutien aux haies bocagères ou la mutation vers des cultures moins intensives et plus respectueuses des sols et des écosystèmes.
Le rythme de dégradation des sols, vertigineux, requiert une action publique au même rythme, capable de faire passer à l’échelle l’industrie et la société civile.
Au niveau mondial, c’est une surface équivalente à celle de la Bulgarie qui est dégradée par artificialisation ou anthropisation chaque année ;
Au niveau européen, avec des fluctuations, on estime qu’un peu moins de la surface de la Slovénie a été artificialisée entre 2000 et 2018 ;
En France, le chiffre d’un département tous les dix ans fait désormais place à celui d’un département tous les 12 ou 15 ans, mais témoigne de l’extrême pression sur les sols naturels.
Dans l’appréhension de cette nouvelle transition, il est crucial de pouvoir tirer les enseignements des erreurs, des blocages, des freins et du temps perdu concernant les ressources pour lesquelles la prise de conscience a été plus précoce : énergies, GES, eau.
Avant tout, du point de vue de la méthode, il paraît indispensable de :
Procéder à la création d’une filière autour des sols intégrant l’ensemble des acteurs qui ont un impact sur les sols ; ;
Mobiliser très fortement, par l’engagement politique des élus, l’éducation, et des mesures de vie quotidienne, la société civile dans son ensemble ;
Garantir en amont un accès à la ressource pour les plus démunis et le caractère progressif et correctif de toute réforme de la gestion des sols - afin de réduire, concomitamment, les inégalités dans les rapports aux sols : accès, liberté de circulation, santé, patrimoine paysager, patrimoine économique.
Ensuite, une redéfinition à la fois synthétique et programmatique des objectifs de transition :
Élargir le spectre de l’artificialisation à l’enjeu réel de la pression sur les sols : l’anthropisation, qui permet de couvrir et comprendre des phénomènes comme la perte des fonctions écologiques et des caractéristiques naturelles de certains sols agricoles, ou érodés, ou désertifiés;
Passer de “l’objectif ZAN” à la transition foncière et un objectif reflétant la séquence ERC (Eviter Réduire Compenser), en associant à chaque étape une cible quantitative ;
Élaborer et reconnaître des standards économiques, techniques et juridiques pour la filière.
Illustration : Capucine Madelaine
1. Vers une économie mixte des sols : articuler préservation et développement
Sans céder à l’illusion qu’il sera possible de connaître les mêmes méthodes de croissance, les mêmes facilités de développement économique et résidentiel, la transition foncière ne peut être synonyme d’une logique de moratoire. Toute la question réside donc dans la ligne de partage exacte qui doit permettre de diminuer drastiquement l’anthropisation et la dégradation des sols par habitant en France, tout en garantissant des segments clairs de développement économique, résidentiel et agricole.
L’Institut de la Transition foncière suggère une double approche, avec d’une part, une action de régulation du marché, pour lui permettre de fonctionner et ne pas subir de choc d’offre (rareté et prix du foncier), et d’autre part, une action de préservation des communs, notamment par intervention foncière.
La situation actuelle est marquée par une incertitude : acteurs publics locaux et acteurs privés ont intégré l’horizon de réduction de la disponibilités des sols. Une double contrainte vient réduire cette disponibilité : une contrainte écologique (ex: la désertification qui pousse des maires du Var à suspendre la délivrance de permis de construire ou l’érosion littorale qui conduit aux mêmes décisions), et une contrainte réglementaire (loi Climat & Résilience, entre autres). Pourtant, ils ne connaissent pas les outils qui vont permettre d’atténuer l’augmentation du coût du foncier dans les bilans d’opération et les acquisitions.
Dans cette perspective, il paraît indispensable de tracer la ligne de partage entre les sols concernés par une nécessité absolue de conservation, et ceux concernés par la possibilité de projet. La planification urbaine et territoriale (SRADDET, SCoT, PLUi) permet de définir ces périmètres, mais elle ne permet pas de donner un modèle économique, ni de garantir l’imperméabilité à long terme entre sols urbanisables et non urbanisables (un changement de majorité, une modification de PLU en cours de mandat, etc.).
Aujourd’hui, la seule source de financement qui permet d'absorber le surcoût de la sobriété foncière réside essentiellement dans les outils, d’urgence, mis en place par le Gouvernement pour financer des opérations déficitaires de recyclage urbain : Fonds Friches, Fonds de requalification des locaux d’activité, puis désormais Fonds Vert. Il n’y a donc pas de source de valorisation intrinsèque à la sobriété foncière. Pour que cela soit le cas, il serait nécessaire d’aboutir, comme avec d’autres ressources, à une valorisation économique des services écosystémiques rendus par les sols. C’est celle-ci qui, à son tour, permet de définir une valeur en euros des m2 de sols naturels préservés dans le cadre d’une séquence ERC sur un projet.
Il y a donc urgence à définir un standard normatif de valorisation des fonctions écosystémiques des sols, puis afin d’échanger des titres incorporant cette valeur, à créer des banques de compensation, nécessairement locales pour éviter des logiques de compensation sans rapports avec les écosystèmes altérés. Les Établissements publics fonciers, avec leur longue expertise foncière, leur ouverture progressive à des métiers d’ingénierie écologique, et leur caractère public (étatique ou locaux) et territorialisé, semblent répondre adéquatement à un tel rôle - pourvu que la couverture nationale soit complète et que leurs moyens soient adaptés en conséquence.
D’un côté, donc, modification des paramètres d’un marché et de ses modèles économiques pour qu’ils intègrent les fonctions écosystémiques des sols et un horizon quantitatif de réduction d’anthropisation.
De l’autre, une logique conservatoire plus forte pour les sols dont on estime, collectivement, qu’ils doivent sortir de ce marché et de la pression humaine sur leurs services écologiques. Cette seconde nécessité ne trouve pas toute sa solution dans la politique des aires protégées. Celle-ci, à travers la Stratégie nationale des aires protégées (SNAP) y concourt avec un objectif de 30% du territoire en “aires protégées”, mais de protection très variable (la plupart ne régulent que très faiblement les activités humaines) et 10% en “protection forte”.
Protection forte : Est reconnue comme zone de protection forte une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d'une protection foncière ou d'une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées.
Les aires protégées relèvent davantage d’une logique de régulation et de labellisation que d’une logique de gestion des communs. A cet égard, l’Institut de la Transition foncière préconise une approche fondée sur l’intervention foncière. Les logiques d’intervention, du côté étatique, du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres, et du côté associatif, de l’association et la foncière Terre de liens, constituent des sources d’inspiration et des bases utiles pour amorcer un mouvement plus large de constitution de “communs fonciers”. Cette approche permet de garantir une protection forte et une gestion qui, même lorsqu’elle est déléguée, est étroitement contrôlée. Surtout, elle permet d’inscrire les sols ainsi protégés dans une temporalité très longue qui enjambe celle des mandats politiques ou des opportunités économiques.
Recommandations 1, 2 & 3 Les recommandations proposées ici sont indissociables en ce qu’elles constituent les pendants d’un équilibre dans une gestion durable des sols. |
Recommandation n°1 Élaborer les standards nécessaires à l’intégration dans les modèles économiques des sols vivants, de leurs fonctions écosystémiques et des objectifs quantitatifs de réduction de l’anthropisation. Concrètement, élaborer un pack de normes suivant la séquence ERC (Eviter - Réduire - Compenser), et s’appliquant, non pas à des surfaces, mais à des volumes, pour mieux prendre en compte la profondeur des sols : 1/ Une norme reconnue de valorisation économique des volumes de sols dont la dégradation a été évitée par redimensionnement (ou annulation) d’un projet ou d’une partie d’un projet ayant un impact foncier 2/ Une norme reconnue de valorisation économique des volumes ayant été préservés par réduction de l’impact foncier du projet (réduction induite par exemple par certains choix et techniques constructives - surélévation, intensification, etc.) 3/ Une norme reconnue de valorisation économique des volumes ayant été compensés - “renaturés” par démonstration de la restauration d’un certain nombre de fonctions écosystémiques indispensables des sols |
Recommandation n°2 Créer un acteur public chargé de vérifier la conformité technique des volumes évités, réduits et compensés, en instruisant les demandes et délivrant aux projets conformes des titres compensateurs correspondants, qui ne peuvent être échangés que dans un périmètre géographique donné. Ces banques locales de compensation auront utilement une assise régionale et peuvent être créées au sein des Établissements publics fonciers. Relever en conséquence les ressources financières et les moyens humains des Établissements publics fonciers. |
Recommandation n°3 Créer un Conservatoire national des sols, intégrant, pour la partie littorale, le Conservatoire du littoral, et développant pour l’ensemble des terres françaises une politique d’acquisition foncière sur le même modèle que ce dernier, à titre de protection et de préservation des sols naturels et forestiers. Confier un objectif quantitatif de long terme sur le modèle de celui fixé au Conservatoire du littoral, pour les acquisitions foncières du Conservatoire national du patrimoine naturel. Intégrer le secteur associatif fortement à sa gouvernance et dans la gestion, déléguée ou non, des espaces acquis. |
2. Vers une société consciente et sachante sur les sols
La transition foncière suppose un changement de référentiel. Avec le passage d’une approche quantitative basée sur la consommation d’espaces naturels à une approche qualitative prenant en compte ses fonctionnalités (dont les fonctions écologiques), le sol ne se lit plus en plan, mais en coupe.
Parce qu’elle est complexe, la mesure de la pression humaine sur les sols, et en particulier l’artificialisation, est au cœur de conflits d’interprétations. Les résultats diffèrent parfois largement d’une base à l’autre. À titre d’exemple, la mesure de la surface artificialisée du territoire métropolitain s’élève selon l’outil européen CORINE Land Cover 2012 à 5,6%. Pour l’outil français Teruti-Lucas 2014, ce chiffre s’élève à 9,3%. Ce décalage peut prendre selon des territoires des proportions plus ou moins significatives : pour les mêmes sources, on varie ainsi de 2% pour l’Île-de-France (où les surfaces sont agglomérées) à plus de 50% pour les régions dont l’artificialisation est plus diffuse et dispersée.
Enfin, et surtout, ces outils d’observation sont aveugles à ce qu’il se passe dans le sol, donc à ses fonctions écosystémiques, et à sa santé ou à sa qualité écologique. Il devient indispensable de diffuser, puis massifier et généraliser de nouvelles manières de connaître les sols, pourtant connus de la science pédologique : propriétés physiques (vitesse d’infiltration de l’eau, réserve utile en eau, stabilité des agrégats, compacité, porosité…), propriétés chimiques (stock de carbone organique, teneur en pesticides, en calcaire, en azote…), propriétés biologiques (densité d’organismes, état et profondeur des racines, abondance et densité des vers, diversité microbienne, accumulation de végétation…).
Recommandation n°4 Constituer un Observatoire national des sols en consolidant le GIS - Sol et en associant également : - Les acteurs du foncier agricole (SAFER, etc) - Les acteurs associatifs travaillant à la préservation des sols naturels, agricols et forestiers - Les Établissements publics fonciers - Les associations d’élus locaux et de planification urbaine (FNAU, Fédé des SCoT) En lien avec le travail entamé des membres du GIS Sol (cartographie de l’anthropocène de l’IGN, etc), confier à l’Observatoire national des sols les objectifs suivants : 1/ Produire une cartographie permanente des pressions anthropiques sur les sols et de l’état des fonctions écosystémiques des espaces NAF 2/ Contribuer activement à la stratégie d’acquisition du Conservatoire national du patrimoine naturel 3/ Financer les démarches innovantes privées et/ou associatives et participatives d’amélioration de la connaissance des sols |
Enfin, un stock important de sols naturels, y compris sur des parcelles cadastrales déclarées comme artificialisées du fait de leur viabilisation, réside dans la propriété foncière privée des particuliers. Il y a donc un gisement de “foncier naturel invisible” qui n’est pas, ou difficilement, visé par une politique de meilleure connaissance et d’amélioration des fonctions écologiques des sols.
L’Institut plaide pour la mise en œuvre, au niveau local comme national, de politiques actives visant à mobiliser les propriétaires fonciers, et donc concrètement les ménages et personnes qui les composent, dans le but de mieux connaître leurs sols, leurs qualités, et les inciter à entretenir ces fonctions écologiques voire les restaurer. Il est crucial de développer une meilleure connaissance citoyenne des sols et de leur rôle, ainsi qu’une responsabilité citoyenne vis-à-vis de leur protection.
A cette fin, les politiques de tri et de collecte des déchets peuvent constituer une bonne source d’inspiration pour la communication et l’engagement citoyen.
Recommandation n°5 Mettre à la disposition de tous les ménages une communication écrite les invitant à participer aux objectifs de préservation des sols naturels dans une logique de contribution à la transition et de préservation de leurs patrimoine naturel local, mais également de préservation des ressources (eau notamment). Elle pourrait comprendre utilement : 1/ Des éléments aidant à l’identification des éléments de l’espace naturel que le ménage possède : prairie, zone humide, haies bocagères, etc. 2/ Les principales fonctions écologiques remplies par les sols et par les différents types d’espaces naturels 3/ Les conseils pratiques visant à préserver ces fonctions et à éviter leur bétonisation - notamment vis à vis des activités de jardinage, maraîchage personnel, activités artisanales, activités sportives, qui pourraient être pratiquées sur le site 4/ Les conseils pratiques visant à restaurer ces fonctions À terme, proposer un appui technique et financier de la collectivité locale ou d’un service national (EPF, Conservatoire national des sols, etc) pour la restauration des sols dégradés sur les parcelles privées. |
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Directeur de publication : Jean Guiony
L'Institut de la Transition Foncière remercie tous ceux qui ont participé à la rédaction de cette note, ou qui en ont inspiré des points saillants. Ce texte fait écho à des travaux récents, dont ceux, particulièrement pertinents, du CESE dans son avis de janvier 2023 :"Du sol au foncier, des fonctions aux usages, quelle politique foncière".
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