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Photo du rédacteurInstitut de la Transition Foncière

Les sols au prisme de l'Autorité environnementale

Dernière mise à jour : 3 oct.


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Projet de ZAC Saint-Vincent de Paul, copyright Mairie du 14ème



29.05.2024


La présente note s’inscrit dans le cadre des échanges entre la MRAE Ile-de-France et l’Institut de la transition foncière. Elle s’attache à explorer la place accordée aux sols, dans leur multifonctionnalité, au sein des avis (avis délibérés et cadrages préalables) accordés par la MRAe d’Ile-de-France, dans le cadre de la démarche d’autorisation environnementale des projets d’aménagement.


Elle se structure de la façon suivante : 

  1. Rappel du contexte de l’évaluation environnementale 

  2. Analyse de la place des sols au sein des avis de la MRAe 

  3. Recommandations de l’ITF pour une meilleure prise en compte des sols 




L'Institut de la Transition foncière est une association loi 1901, fondée à l’initiative d’acteurs publics, scientifiques et privés, qui réunit une filière des sols. 


L’Institut œuvre à un changement de paradigme foncier visant à placer la préservation des sols vivants au centre des politiques publiques et des pratiques opérationnelles, en privilégiant, l’évitement, la réduction et la restauration. C’est un lieu d’élaboration de modèles techniques, économiques et de gouvernance. Ses missions sont les suivantes :

- Favoriser la recherche appliquée sur les sols vivants et permettre un réel transfert de connaissances vers le monde opérationnel avec une Chaire Transition Foncière, portée en partenariat avec la Fondation Université Gustave Eiffel et l’Institut CDC pour la Recherche

- Développer des outils pour la filière afin d’intégrer des standards de préservation des sols dans les pratiques opérationnelles, d’aménagement, d’agriculture, d’activités économiques.

- Assurer un plaidoyer et un rôle de think-tank, avec la valorisation des ressources et d'expertises sur le sujet, et l’organisation du Forum de la Transition Foncière qui rassemble la filière. 

- Proposer des formations et solutions sur mesure en fonction des besoins identifiés par les acteurs




Contexte : évaluation environnementale et autorisation environnementale


Pour la plupart des projets locaux, l'autorité environnementale (Ae) est exercée par les MRAe, chacune étant présidée par un membre de l'Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Créées en 2016, aux côtés de l’Ae, elles ont pour mission d’exprimer des avis indépendants sur tous les plans et documents locaux (SCoT, PLU, PDU, Sraddet, SAGE, etc.) ainsi que sur des projets d’aménagement et de contribuer à un meilleur fonctionnement démocratique pour la préparation des décisions environnementales.

Une MRAe dispose de trois mois à partir de sa saisine pour donner un avis sur chaque projet pour lequel elle a été saisie. L'autorité ne peut s’autosaisir, mais sa saisie est obligatoire pour tout projet présenté par le Ministère de la transition écologique. 


L'autorité environnementale compétente statue sur la nécessité de réaliser une évaluation environnementale pour un projet, un plan, un document d’urbanisme. L’évaluation environnementale vise à estimer l’incidence d’un projet ou d’un programme sur l’environnement. Elle est réglementée par l’article L.122.1 du Code de l’environnement. L’objectif est d’éviter, réduire et compenser (ERC) les impacts négatifs sur l’environnement. L’étude d’impact environnemental (EIE) est la première et principale étape de l’évaluation environnementale et se concentre sur des aspects spécifiques tels que la qualité de l’air, la gestion des déchets, l’utilisation des sols, etc. Les EIE sont ainsi l’objet des avis rendus par la MRAe. 



Place des sols au sein des avis de la MRAe d’Ile-de-France


2.1. Différents types d’avis produits par la MRAe


L’analyse proposée par l’Institut de la Transition foncière (ITF) porte sur un corpus d’avis produits par la MRAe Ile-de-France en 2023 ou 2024 : 5 avis délibérés, 1 avis délégué, 2 cadrages préalables :

  • Avis délégué sur le projet de construction d’une plateforme logistique à Nangis (26/12/2022)

  • Cadrage préalable sur l’évaluation environnementale de la révision du PLU de Boulogne Billancourt sur le secteur de l’Ile Seguin (19/07/2023)

  • Avis délibéré sur le projet de reconversion et d’aménagement de l’ancien site de la chocolaterie à Noisiel et Torcy (30/08/2023)

  • Cadrage préalable sur l’évaluation environnement du projet de renouvellement urbain Grand Quartier à Aulnay et Sevran (25/10/2023)

  • Avis délibéré sur le projet de construction d’une centrale agrivoltaïque à Orgeval (22/11/2023)

  • Avis délibéré sur le projet d’un ensemble immobilier mixte îlot Parmentier à Bagnolet (27/12/2023)

  • Avis délibéré sur le projet de zone à trafic limité sur le secteur Paris Centre (07/02/2024)

  • Avis délibéré sur le projet de forage géothermique à Châtenay-Malabry (10/04/2024)


Les avis sont rendus par la MRAe, à destination du maître d’ouvrage, et portent sur la qualité de l’évaluation environnementale présentée par le maître d’ouvrage. Ils ne sont ni défavorables ni favorables, mais visent à améliorer la conception du projet.


Les cadrages préalables sont des documents élaborés en amont des délais prescrits, et qui répondent à des questions spécifiques posées par le maître d’ouvrage. Elles portent sur l’ampleur et le degré de précision des informations à fournir dans l’évaluation environnementale qui devra être menée par le maître d’ouvrage. La MRAe peut aussi mettre l’accent sur des points d’attention supplémentaires. Il est cependant difficile d’établir des conclusions sur les documents de cadrage préalable, souvent assez courts et guidés par les questions posées par la maîtrise d’ouvrage.

Le panel d’avis sélectionnés permet de couvrir une pluralité de thématiques et de maîtres d’ouvrages : projets immobiliers, énergétiques (agrivoltaïsme, centrale géothermique), aménagements de la voirie, documents de planification et d’urbanisme.

 

2.2. Une évaluation globale : influence de l’environnement et impact des projets sur l’environnement


Les avis de la MRAe proposent une analyse transversale des enjeux environnementaux associés aux projets étudiés. Il s’agit à la fois d’étudier l’influence du contexte environnemental sur le projet (dans le cas des pollutions par exemple), et de regarder l’impact du projet sur l’environnement.  La définition des enjeux environnementaux est large puisqu’ils concernent également la santé humaine, dans le cadre par exemple des nuisances sonores.

Les enjeux environnementaux identifiés par la MRAe varient selon les projets, leur contexte et leur usage projeté. Cependant, on retrouve généralement des recommandations liées à :


  • La protection de la biodiversité : diagnostic faune / flore / habitats, corridors écologiques, zones humides

  • La gestion des eaux et des inondations : infiltration des eaux, imperméabilisation des sols, présence de zones humides

  • La qualité de l’eau : pollutions potentielles des eaux souterraines et superficielles liées au projet

  • Le climat local : îlots de chaleur urbains

  • Le climat global : consommation d’énergie, bilan carbone

  • Les pollutions initiales sur le site : pollution de l’air, pollution des sols et des eaux

  • Les nuisances générées par le projet vis-à-vis des populations humaines (nuisances sonores, trafic)

  • L’insertion paysagère du projet et la préservation du patrimoine architectural

 


2.3. Une prise en compte des sols partielle


Parmi ces catégories d’analyse, aucune n’est entièrement dédiée à la qualité des sols. On retrouve néanmoins des éléments relatifs aux sols dans différentes thématiques traitées par les avis de la MRAe :


  • Les aspects relatifs à la pollution des sols (présente ex ante) : cela s’inscrit dans une méthodologie claire et bien éprouvée de gestion des sites et sols pollués


Ainsi, dans l’avis APJIF-2023-069 portant sur un ensemble immobilier à Bagnolet, la MRAe revient sur les conclusions des études d’impact du projet en matière de pollution des sols et souligne le besoin complémentaire d’une analyse des risques résiduels. Elle recommande au maître d’ouvrage de mieux “démontrer la compatibilité de la qualité du sol avec les usages futurs du projet” : la “qualité” des sols est ici définie uniquement à travers son niveau de pollution. 


  • Les capacités d’infiltration des sols : la gestion du ruissellement et des inondations est régulièrement mentionnée dans les avis de la MRAe, et prend en compte l’imperméabilisation des sols impliquée par les projets.

 

En effet, dans l’avis APJIF-2023-046 relatif à un projet de reconversion d’une ancienne usine à Noisiel et Torcy, le chapitre dédié aux risques d’inondation mentionne la démarche de désimperméabilisation de certains sols mise en avant dans l’étude d’impact, mais pointe l’absence de quantification de cette désimperméabilisation, et l’absence de prise en compte dans l’étude d’impact de la disparition de “surfaces en pleine terre”. 


  • La préservation des sols de zones humides : la législation sur l’eau permet une bonne identification des zones humides – notamment par des sondages pédologiques – et une application de la méthodologie ERC à ces zones. Cependant, elles restent davantage considérées pour leur dimension d’habitat écologique que pour leurs propriétés pédologiques.  


On notera cependant quelques exceptions : dans l’avis APJIF-2023-063 relatif à un projet agrivoltaïque à Orgeval, une longue section est dédiée aux zones humides. L’avis commente la démarche de compensation présentée par le maître d’ouvrage, en soulignant que celle-ci ne permet pas de compenser les “fonctionnalités relatives au sol (hydrologiques et biogéochimiques).”


  • Le sol perçu comme support physique : les aspects géotechniques liés aux argiles gonflantes sont également évoqués dans les avis de la MRAe. 

Cela s’articule notamment avec la gestion des risques de mouvements de terrain, et ce faisant, à la gestion de l’infiltration des eaux 


Par exemple, privilégier une infiltration diffuse plutôt que concentrée dans les zones d’argiles gonflantes, soumises aux risques de mouvements de terrain, comme la MRAe le souligne dans l’avis APJIF-2023-069 portant sur un ensemble immobilier à Bagnolet.)   


En somme, le sol apparaît ainsi de plusieurs manières, dans une perspective segmentée, sans être présenté comme un milieu à part entière à préserver. D’autres caractéristiques des sols sont très peu évoquées :


  • La biodiversité des sols : alors que les dimensions liées à la biodiversité terrestre sont très présentes dans les avis de la MRAe, elles ne prennent quasiment jamais en compte les organismes du sol (microorganismes, macrofaune, mésofaune, microfaune). Les études faune / flore portent effectivement davantage sur la végétation, les oiseaux, les mammifères, les reptiles, les amphibiens, les chauve-souris, ou les insectes (cf. avis APJIF-2023-063 relatif à un projet agrivoltaïque à Orgeval). 


  •  La matière organique des sols et la séquestration carbone : alors que ces sujets émergent dans le monde agricole, les sols pouvant être désignés comme de potentiels puits de carbone, le potentiel de stockage de carbone des sols reste relativement absent des études environnementales lors des projets d’aménagement. Ceux-ci sont pourtant susceptibles de détériorer le stockage ou la capacité de stockage des sols en place. 


Ainsi, dans l’avis APJIF-2023-068 du 26/12/2023 portant sur un projet de plateforme logistique à Nangis, la MRAe mentionne les enjeux d’atténuation du changement climatique et recommande de réaliser un bilan des émissions de gaz à effet de serre du projet. Il n’est pas précisé si ce bilan doit prendre en compte la diminution du potentiel de séquestration carbone dans les sols liée à l’artificialisation. 


  •  La fertilité des sols : la rétention, le transfert et le recyclage d’éléments nutritifs essentiels par les sols ne sont évoqués qu’en contexte agricole, alors que ces caractéristiques pourraient également être étudiées lorsque des projets d’aménagement impliquent des espaces végétalisés / renaturés. 


Ainsi, dans l’avis APJIF-2023-063 relatif à un projet agrivoltaïque à Orgeval, une section est dédiée à la “qualité agro-écologique des sols”, approchée à travers le potentiel de rendement agricole : la MRAe s’étonne notamment des modélisations de l’étude d’impact qui concluent à une incidence négligeable du projet sur les rendements, et pointe l’absence de prise en compte de la surface importante située sous l’ombre portée des panneaux photovoltaïques.


De manière générale, les questions d’artificialisation des sols (disparition des sols en quantité) sont abordées par la MRAe, puisqu’elles engendrent des problématiques d’imperméabilisation (régulation du cycle de l’eau), ou des disparitions d’écosystèmes terrestres. Le traitement des enjeux relatifs à la dégradation des sols existants (détérioration de leur qualité) reste, quant à lui, marginal.



Recommandations de l’ITF


Nos observations sur ces avis confirment les conclusions de l’AFES, portant sur la présence des sols dans la séquence ERC, ce qui fait sens puisque les évaluations environnementales doivent appliquer une logique ERC. Dans un article récent publié par la revue Étude et Gestion des sols : “Les experts interrogés font le constat unanime que les sols sont très peu pris en compte actuellement dans l’application de la séquence ERC, à quelques exceptions près : 

  • les zones humides, où l’étude des sols reste cependant partielle (critère d’hydromorphie seul) ; 

  • les terres à vocation agricole ou lorsque le projet intègre un plan d’épandage ; 

  • l’érosion des sols traitée lors des demandes d’autorisation de défrichement; 

  • la gestion des eaux pluviales et souterraines, qui peut indirectement prendre en compte le sol.” 


Les auteurs notifient aussi : “les sols ne sont quasiment pas intégrés au diagnostic de l’état initial, et a fortiori aux étapes suivantes, dont celle de la caractérisation et du dimensionnement de la compensation.” La biodiversité des sols n’est, elle, jamais prise en compte. 


En partant de ce constat et des analyses des avis de la MRAe IDF, l’Institut formule les suggestions suivantes : 


1. Acter une définition des sols dans les avis des MRAe. Elle doit avoir pour fondement, non pas leur usage, mais leurs composantes physiques, chimiques et biologiques pouvant impacter, entre autres, leurs fonctions écologiques, et notamment celles définies dans la loi Climat et Résilience. 


Afin d’identifier ces propriétés, il serait nécessaire que les pétitionnaires et les Autorités environnementales prennent appui sur les bases existantes. En particulier, les référentiels régionaux pédologiques (RRP) lorsqu’ils couvrent la zone, à compléter par des données sur la biodiversité des sols (110 références de types de sol sont identifiées dans les référentiels régionaux pédologiques). Une version simplifiée est consultable sur Géoportail bien que la version complète ne soit distribuée que par les référents régionaux. De même, le Réseau de Mesure de la Qualité des sols (RMQS) lui aussi consultable via le GIS-Sol. D’autres informations sont délivrées et consultables dans le format national DoneSol

Enfin, le cas échéant, si aucune de ces bases existantes ne fournit d’information suffisamment complète ou précise, il devrait être suggéré la réalisation d’un diagnostic de santé des sols. Les sols ainsi précisément définis, ces informations peuvent être dérivées afin d’obtenir des indicateurs pour évaluer l’impact de l’artificialisation, ou d’autres usages, comme un indice agrégé de multifonctionnalité des sols. 


2. Enrichir les EIE d’un cadre d’analyse sur les sols : 


  • Cette “EIE Sols” n’a pas besoin d’être créée ex-nihilo mais peut reprendre largement la structure existante qui inclut déjà les sols à travers la prise en compte de la qualité de l’eau, l’artificialisation des sols, auquel il s'agit de rajouter un diagnostic sur la biodiversité. L’entrée sol permettrait ainsi de traiter de manière cohérente et complète des études déjà existantes.

  • Rendre obligatoire l’“EIE Sols” à partir de 3 hectares, sur des projets publics comme privés de tous secteurs confondus (agriculture, transport, aménagement, minier, etc.) intégrant les gros projets (soumis à l’autorisation environnementale unique) comme les petits projets pour l’instant exclus.

  • Il existe aujourd’hui des informations sur les sols et des techniques scientifiques d’analyses disponibles, mais elles sont souvent à l’échelle territoriale et non à celle du projet d’aménagement. Pour avoir des informations à cette échelle, des mesures de terrain sont nécessaires, ce qui peut être coûteux. La réalisation d’un diagnostic des sols à chaque cession foncière nous semble être un outil essentiel pour accompagner plus globalement ce cadrage sur les sols. L’ITF conduit une étude de faisabilité avec l’Ademe et l’Office français de la biodiversité (OFB) en ce sens, ce qui permettrait d’inclure dans l’EIE : 

  • l’état initial du sol (à l’aide du Diagnostic sol), 

  • l’état du sol si le projet ne se réalise pas, 

  • l’état du sol si le projet se réalise,

  • une mesure d'évitement-réduction-compensation de l’écart entre les deux états,

  • des modalités de suivi de la qualité des sols (pour tous les projets validés par la MRAe) à l’échelle des soil districts (directive européenne) dont le référent par district pourrait être issu de la MRAe.


En attendant la mise en place, le cas échéant, d’un tel dispositif, l’EIE pourrait d’ores et déjà requérir pour les projets les plus ambitieux un tel diagnostic. 



3. Déterminer un seuil de dégradation des fonctions écologiques des sols à partir duquel le renoncement au projet s’impose, peu importe la compensation, ce qui entraînera l’abandon de certaines manières de construire. Aujourd’hui, par exemple, la construction d’une route permet de veiller à un minimum d’infiltration des eaux de pluie, selon les matériaux utilisés. 


En cas de dépassement du seuil, la MRAe pourra demander au pétitionnaire une alternative au projet. Si aucune alternative n’est envisageable, une dérogation exceptionnelle de ce seuil devra être justifiée par une nécessité majeure. 


4. Orienter, dans les avis de la MRAE, vers des outils d’aide à la prise de décision permettant d’éviter certaines dégradations tels que MUSE, l’outil Bilan de transition foncière, DESTISOL, ou d’autres outils. 


5. Multiplier et/ou renforcer les méthodes de compensation / obligation de restauration dans leur volet sols. Actuellement, seul ECOVAL inclut des critères relatifs aux sols. Un référentiel de techniques certifiées de refonctionnalisation des sols nous semblerait utile aux pétitionnaires comme aux autorités de contrôle. 

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