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Décret agrivoltaïsme : et les sols ? Analyse du décret n° 2024-318 du 8 avril 2024

Dernière mise à jour : 30 juin



  • L’essor de l’agrivoltaïsme et son potentiel d’énergie bas carbone ont conduit à l'adoption d'un cadre législatif spécifique pour encadrer son développement,  la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergie renouvelable, dans lequel s’inscrit le décret n° 2024-318 du 8 avril 2024.

  • Ce décret précise les règles d'implantation des installations photovoltaïques sur des terrains agricoles, naturels ou forestiers (10% de consommation d’espace maximum, priorité de l’activité agricole, etc.) et énonce les services que les installations doivent fournir, notamment une supposée amélioration agronomique et une limitation des effets du changement climatique, dont nous exposons ici le caractère discutable. 

  • L'agrivoltaïsme, dans son impact sur les sols, suppose des points de vigilance à plusieurs titres : gestion des déchets infrastructurels, temps de démantèlement des installations, conséquences sur les sols en termes d’artificialisation.

  • L’ITF souligne les nombreuses limites de cette pratique du point de vue des sols et insiste donc sur la nécessité d’utiliser en priorité le gisement déjà artificialisé identifié par l’ADEME (grandes toitures, parkings, friches).

  1.  Présentation : un décret qui précise mais laisse toujours des inconnues


L'agrivoltaïsme, dont les premières installations sont apparues au début des années 2000, consiste à produire de l'électricité à partir de l'énergie solaire photovoltaïque en zone agricole, ce qui induit de facto une concurrence entre la production d'électricité et la photosynthèse, toutes deux dépendantes de la captation de l’énergie solaire. En France, les premières installations ont été d’abord installées sur des serres, aujourd’hui elles se développent aussi bien sur des pâturages que des grandes cultures, avec des installations photovoltaïques variées : modules fixes ou mobiles, panneaux verticaux, inclinés, bi-axes, créant plus ou moins d’ombre sur les cultures. Que penser de ce développement et comment est-il organisé ?  


Ce décret d’application était en discussion depuis un an suite à l'entrée en vigueur de l'article 54 de la loi 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergie renouvelable, qui modifie ainsi le code de l'énergie (article L.100-4) : « pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs [...] d'encourager la production d'électricité issue d'installations agrivoltaïques, au sens de l'article L. 314-36, en conciliant cette production avec l'activité agricole, en gardant la priorité donnée à la production alimentaire et en s'assurant de l'absence d'effets négatifs sur le foncier et les prix agricoles ». 


La loi du 10 mars 2023 instaure les conditions du déploiement de l’agrivoltaïsme : interdiction du photovoltaïque directement au sol en zone agricole et forestière, les installations doivent être compatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière, elles sont autorisées pour une durée limitée et sous condition de démantèlement au terme de cette durée, elles doivent pouvoir garantir leur réversibilité dont le propriétaire porte la responsabilité par la remise en état du terrain, ne peuvent nécessiter un défrichement supérieur à 25 hectares de forêt, enfin, les ouvrages doivent rendre à la parcelle agricole quatre services cités : 


  • L'amélioration du potentiel et de l'impact agronomiques ;

  • L'adaptation au changement climatique ;

  • La protection contre les aléas ;

  • L'amélioration du bien-être animal. 


Unique dans le paysage législatif international, ambitieuse voire idéaliste par son approche du photovoltaïque comme mise au service d’une production agricole prioritaire et inchangée, cette loi est au carrefour de plusieurs droits (droit de l’urbanisme, rural, de l’environnement, de l’énergie, ou encore des collectivités territoriales). Le récent décret vient donc apporter des éléments légaux : il précise la définition de l’agrivoltaïsme, et définit une « parcelle agricole » et un « agriculteur actif ». Il précise enfin davantage certains des services qui doivent être rendus par l’installation voltaïque à la parcelle et à l’activité agricole : 


  • Concernant “l’amélioration du potentiel et de l’impact agronomique”, cela doit se traduire par l’amélioration des qualités agronomiques des sols et l’augmentation ou le maintien du rendement défini tel que « la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle mentionnée à l'article R. 314-108 est supérieure à 90 % de la moyenne du rendement par hectare observé sur une zone témoin ou un référentiel en faisant office ». A cela est ajouté : « Peut également être considérée comme améliorant le potentiel agronomique des sols toute installation qui permet une remise en activité agricole ou pastorale d'un terrain agricole inexploité depuis plus de cinq années. ». La définition est donc assez large : l’amélioration du potentiel agronomique inclut le maintien du rendement aussi bien que la remise en culture. Par ailleurs, afin de pouvoir comparer la productivité de la parcelle avec installation, la création d’une zone témoin est obligatoire bien que de nombreuses dérogations soient prévues. Enfin, il est précisé que la surface cessant d’être exploitée après installation ne doit pas dépasser 10% pour que la production agricole soit considérée comme « l’activité principale ». 


  • Concernant la limitation des effets du changement climatique, elle sera constatée à travers la mesure de l’un des effets suivants : 

  • « En termes d'impact thermique, par la fonction de régulation thermique de la structure en cas de canicule ou de gel précoce ou tardif ; 

  • En termes d'impact hydrique, par la limitation du stress hydrique des cultures ou des prairies, l'amélioration de l'efficience d'utilisation de l'eau par irrigation ou la diminution de l'évapotranspiration des plantes ou de l'évaporation des sols, et par un confort hydrique amélioré ; 

  • En termes d'impact radiatif, par la limitation des excès de rayonnement direct conduisant notamment à une protection contre les brûlures foliaires. »


Bien qu’éclairant, ce décret n'est que le début d'un processus normatif plus large. En effet, il nécessite la mise en place de plusieurs autres mesures législatives et réglementaires comme celle précisant les modalités de contractualisation et de partage de la valeur générée par les projets agrivoltaïques, des décrets définissant les caractéristiques techniques des installations photovoltaïques exemptées d’une prise en compte dans le calcul de la consommation d'ENAF, ou encore une distinction à faire entre l’activité agricole, pastorale ou forestière : en effet, les différents types de cultures ont des enjeux distincts, qu’il s'agisse des pâturages où se pose la question du bien-être animal et de l'ombrage, ou bien de maraîchage où la possibilité d’amélioration des sols et des rendements semble, en l’état, exagérée et surévaluée. 


  1.  Mise en perspective : conséquences pédologiques et artificialisation


Malgré son potentiel important en termes de production d’énergie (largement supérieur à la bioélectricité) et son coût particulièrement bas, l'agrivoltaïsme suppose des points de vigilance à plusieurs titres : gestion des déchets infrastructurels, temps de démantèlement des installations, conséquences sur les sols en termes d’artificialisation. Des études sont actuellement menées pour évaluer ces impacts, notamment sur le plan agronomique et pédologique, et pour identifier les meilleures pratiques (espacement et inclinaison des panneaux) afin de concilier production d'énergie renouvelable et préservation des ressources naturelles, comme « l’agrivoltaïsme dynamique », qui consiste à rendre mobiles les panneaux en fonction du besoin de lumière des plantes grâce à une IA - des programmes de recherche avancés et des projets pilotes sont en cours comme Sun’agro de l’INRAE. Nous nous questionnons toutefois sur le type d’exploitation capable de financer ce genre d’infrastructures technologiques, soulignant le lien entre l'agrivoltaïsme et l’agriculture intensive et conventionnelle responsable d’autres formes de dégradation des sols. 


Lors des premiers tests avec panneaux fixes, horizontaux, et resserrés, le potentiel agronomique était largement amoindri. Si les études et pratiques sont désormais plus concluantes (maintien entre 90% et 100% du potentiel initial à surface cultivée équivalente), l’agrivoltaïsme conserve des limites structurelles : 


  • Bien que la remise en état doive garantir la perpétuation des fonctions agricoles, la durée des opérations de démantèlement et de remise en état est limitée à un an avec une prolongation possible de trois ans, ce qui constitue une période importante de perte de production agricole;

  • Les contrôles tous les 3 à 6 ans ne permettront pas, par leur fréquence, de vérifier les baisses temporaires de rendement agricole. De plus, ils ne visent pas à étudier l’impact sur le sol en dehors de son utilité agricole : en effet si l’agroforesterie a fait ses preuves, c’est notamment parce qu’elle compense l'amoindrissement de lumière solaire avec un enrichissement du sol, ce qui a priori, n’est pas le cas des installations photovoltaïques. 

  • Les installations en elles-mêmes sont consommatrices d’espaces : au Japon elles ont pu concerner jusqu’à 25% de la parcelle. Ainsi, même en limitant l’artificialisation à 10% comme l’indique le décret, un objectif de maintien constant du potentiel agronomique à l’hectare nécessite en réalité une augmentation du rendement agricole rapporté à la surface cultivée désormais réduite, ce qui semble en l’état difficilement envisageable. 

  • Enfin, inscrire la primauté de la fonction agricole sur la fonction énergétique ne semble pas suffisant pour la protéger. Les rétributions financières de la vocation énergétique des terres sont aujourd’hui importantes, engendrant une augmentation de leur valeur foncière. En comparant avec le développement de la méthanisation, on constate que, malgré la régulation, les usages se concurrencent d’autant plus qu’ils n’ont pas la même rentabilité. 



En conclusion, ce décret est un premier pas pour préciser les conditions de mise en place de l'agrivoltaïsme. Cependant, aussi noble soit elle, l’ambition de mettre le voltaïque au service de l’agriculture semble un leurre, pour les raisons mentionnées précédemment. Concernant la préservation des sols naturels, nous observons que ni les contrôles ni l’artificialisation causée par les panneaux ne couvrent véritablement le sujet de leur dégradation fonctionnelle. Ainsi, bien que les objectifs de production photovoltaïque fixés par le gouvernement soient importants [1], il semble plus respectueux des sols de privilégier un principe de priorité absolue sur les sols artificialisés et en particulier d’exploiter d’abord les toitures des bâtiments, dont le potentiel est estimé à 123 GW sur grande toiture selon l’ADEME [2], les parkings déjà artificialisés, estimés à 4 GW et les “zones délaissées” représentant 49 GW [3]. Un recensement des zones d’activités sous-occupées serait, en complément, intéressant. Enfin, rappelons que les haies, les vergers, et l'agroforesterie ont l’avantage d’être renouvelables, recyclables, et de fournir du bois, du fourrage, de l'ombre dense et humide, et des refuges pour la biodiversité. 



Van Gogh, La Vigne rouge, 1888


 

[1] La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) prévoit d’augmenter la puissance totale d’installations photovoltaïques (sol et toiture) à 44,5 GW en 2028. La puissance du parc solaire photovoltaïque atteignait 17,2 GW à la fin du premier trimestre 2023.


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