Améliorer la prise en charge des conséquences du changement climatique par le système assurantiel : ménager les sols vivants
- Institut de la Transition Foncière
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Dernière mise à jour : il y a 6 jours
Résumé
La plupart des catastrophes naturelles accentuées par le réchauffement climatique (inondations, submersion marine, sécheresse, retrait-gonflement des argiles…) sont liées aux sols et à la manière dont ils sont traités par l’Homme. Ces catastrophes engendrent des coûts faramineux, qui fragilisent les systèmes assurantiels au vu de leur multiplication et de l’accroissement de leur intensité. Dès lors, adopter une politique de prévention par la préservation des sols à grande échelle est indispensable pour assurer notre adaptation au changement climatique, autrement dit assurer notre capacité à absorber ses conséquences à un coût financier et démocratique acceptable.
Cet article a été rédigé par Margot Holvoet, Déléguée générale de l'Institut de la Transition foncière, pour les Cahiers Lysias (à paraître).
Les catastrophes naturelles sont multipliées et accentuées par le changement climatique
La dynamique actuelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre place la France sur une trajectoire de réchauffement qui nous amènera en 2100 à des températures moyennes supérieures de 4°C aux moyennes observées sur la période pré-industrielle.
On observe déjà les conséquences concrètes et matérielles de ce réchauffement : en matière d’inondations d’abord : inondations consécutives à la tempête Alex en 2020, inondations majeures dans le nord de l’Hexagone en 2024… Au total, ce sont près de 19 millions de Françaises et de Français qui sont concerné.e.s par le risque inondations, 1,5 millions par le risque de submersion marine [1]. Si le changement climatique accentue l’intensité des épisodes pluvieux, il accentue également la sévérité des épisodes de sécheresse. A ce titre, 2022 a donné un aperçu de la norme dans laquelle nous évoluerons bientôt. Par ailleurs, avec la multiplication et l’allongement des épisodes de sécheresse, c’est le phénomène de retrait-gonflement des argiles qui s’accentue, menaçant quant à lui 10 millions de maisons. Enfin, les canicules sont à compter au nombre des catastrophes naturelles, entraînant des milliers de décès (15 000 décès en France lors de la canicule de 2003, 2800 en 2022).
La sécurité des biens et des personnes est donc menacée par tout un ensemble de conséquences du changement climatique. Les activités économiques le sont tout autant – au premier rang desquelles, l’agriculture. A titre d’exemple, la sécheresse de 2022 a conduit à une perte de rendements jusqu’à 30% sur certaines cultures [2].
Ménager nos sols : la meilleure réponse face aux conséquences du changement climatique et aux coûts qu'elles engendrent
Tous ces risques ont un point commun : ils concernent les sols. Ainsi, la nature du sol (sols argileux, limoneux, sableux ou humifère), mais aussi leur occupation (sols agricoles, urbains, forestiers, naturels) déterminent leur réaction aux fortes pluies, aux sécheresses et aux vagues de chaleur, mais aussi aux incendies. Enfin, leur santé est le dernier facteur expliquant leur réaction aux aléas climatiques. Cette santé est mesurée à travers les menaces qui pèsent sur eux (l’artificialisation ; la perte de biodiversité ; la perte de carbone organique ; la pollution ; l’excès de nutriments ; le tassement ; la salinisation et l’érosion) ou l’état de leurs fonctions (réguler l’eau en quantité et en qualité ; réguler les contaminants ; stocker du carbone ; fournir des nutriments ; entretenir la structure du sol ; supporter la biodiversité [3]).
Ainsi, les inondations – plus de 50% des sinistres – et leurs impacts sont en effet largement aggravés par l’ampleur de l’artificialisation des sols. Alors qu’1m3 de sol peut contenir jusqu’à 300L d’eau, les sols artificialisés empêchent non seulement l’infiltration de l’eau, mais génèrent en outre des phénomènes de ruissellement, entraînant l’eau toujours plus loin.
De même, les sols fonctionnels, surtout lorsqu’ils ont une couverture végétale importante, permettent de lutter contre le phénomène d’îlots de chaleur urbain et contribuent au maintien de températures viables pour le corps humain [4].
Les pratiques agricoles, impactées négativement par le changement climatique, peuvent accentuer à leur tour la dégradation des sols et donc accroître la perte de rendements en contexte de changement climatique.
Ainsi, la manière dont on traite ces écosystèmes complexes que sont les sols a beaucoup à voir avec notre capacité de nous adapter au changement climatique, autrement dit d’absorber les crises de plus en plus fréquentes qu’il charrie, à un coût assimilable par notre société.
Les coûts des risques liés aux sols en augmentation exponentielle, questionnant la capacité de la collectivité et des assureurs à les prendre en charge
Ces catastrophes “naturelles” ont engendré des dégâts pour lesquels les réparations se chiffrent chaque fois en centaines de millions voire en milliards d’euros [5]. Entre 2016 et 2020, 5 sécheresses ont occasionné des dommages chaque année estimés entre 800 millions et 1,6 Md pour les seuls biens assurés ; sur la même période, les inondations ont représenté des dommages entre 450 et 2,2 Md d’euros par an. Ces chiffres pourraient encore augmenter jusqu’à 20% à horizon 2050 [6]. En tout, les catastrophes climatiques de l’année 2022 ont généré 10Md d’euros de dépenses pour les assureurs, et 6,5 Md en 2023 [7].
Du côté des activités économiques, le Haut Conseil pour le Climat estime que le seuil de 2,6 Mrd€ de dommages liés aux sécheresses pourrait être dépassé en moyenne tous les 10 ans dans le secteur agricole. De leur côté, les dépenses publiques d’indemnisation des exploitations agricoles ont explosé ces dernières années, particulièrement en 2021 et 2022, comme le montre I4CE dans un rapport de 2024 [8]. Les “aléas climatiques” figurent en bonne place dans les causes d’indemnisations, aux côtés notamment des répercussions de la guerre en Ukraine pour 2022. Ces indemnisations représentaient 40% du budget prévisionnel du ministère de l’agriculture en 2022. Les subventions à l’assurance-récolte ont elles aussi significativement augmenté.
Ces coûts, en forte augmentation, sont ainsi répartis entre les assureurs et l’Etat. Plusieurs régimes assurantiels coexistent : le régime d’assurance-récolte est fondé sur la liberté de marché, mais soutenu par des subventions publiques à la demande pour encourager les agriculteurs à souscrire à un contrat d’assurance ; l’indemnisation des conséquences des catastrophes naturelles est quant à elle encadrée par l’Etat : il fixe des obligations d’assurance, encadre les tarifs et réassure les risques des assureurs avec une garantie illimitée [9]. Ainsi, si les assureurs ont le droit de refuser d’assurer un bien, ils ne le peuvent pas au motif que le bien est soumis à un risque catastrophe naturel. Le Bureau central de tarification (BCT) peut être saisi pour contraindre l’assureur à assurer le bien.
Or, la forte augmentation de la sinistralité ces dernières années du fait du changement climatique conduit les réassureurs privés (les “assureurs des assureurs”) à se retirer au profit de la réassurance publique, désormais “en quasi monopole”, selon le rapport “Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques” de décembre 2023, dit rapport Langreney.
Cette situation conduit à un déficit annuel de 1,2 Md d’euros pour la Caisse Centrale de Réassurance, le réassureur public, sans même tenir compte des évolutions du climat futur. Pour combler et maîtriser ce déficit appelé à se creuser avec l’aggravation des conséquences du changement climatique, la surprime CatNat a été augmentée au 1er janvier 2025 de 12 à 20%. Mais face à l’accélération de l’impact du changement climatique, cette augmentation ne saurait suffire. Plusieurs pistes sont dès lors envisagées pour assurer la soutenabilité du modèle assurantiel français : l’augmentation régulière des tarifs des assurances et notamment des surprimes pour certaines catégories d’assurés à risque - notamment du fait de leur situation géographique, et l’augmentation importante de la prévention individuelle et collective. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) [10] et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ont chacun mis l’accent sur le rôle d’une gestion durable des sols dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique – les bénéfices de la restauration des sols étant par exemple estimés jusqu’à 10 fois supérieurs à ses coûts [11].
Une prévention des risques naturels encore insuffisante
La prévention des risques naturels en France se fait dans le cadre des Plans de prévention des risques naturels (PPRN) instaurés par la loi Barnier de 1995, en remplacement des Plans d’exposition aux risques prévus dès 1982. Ceux-ci, élaborés par les services de l’Etat en concertation avec les communes et soumis à enquête publique, peuvent prescrire des travaux de prévention dans des délais impartis, interdire les constructions dans certaines zones ou les réglementer fortement. Or, seules 35% des communes sont actuellement couvertes par un PPRN [12]. En outre, ceux-ci ne garantissent pas une prise en compte complète des risques, ni des mesures suffisantes pour les prévenir. Il n’est dès lors pas rare que des zones soumises au risque inondation, même considéré comme fort à très fort (zones rouges des PPRN), puissent être déclarées constructibles [13] et faiblement réglementées. En particulier, les exigences, souvent légitimes, de densification, encouragent la pression à la construction sur des zones inondables en milieu urbain [14].
Au-delà des contraintes juridiques, la prévention des risques est encouragée par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) ou « fonds Barnier », qui dépasse désormais les 200 M de budgétisation annuelle. Or, ce budget s’avère faible au regard des 6 Md d’euros de moyenne de dépense en assurance des biens face aux aléas climatiques ces dernières années. Par ailleurs, l’orientation de ses financements pourrait être largement repriorisée : il finance essentiellement des investissements “gris”, c’est-à-dire infrastructurels, au détriment de solutions fondées sur la nature (SFN) largement considérées comme des solutions “sans regrets”, c’est à dire qui, à l’inverse des infrastructures grises émettrices de CO2 et artificialisantes, ne présentent que des cobénéfices – en matière de qualité de vie, de biodiversité, d’atténuation du changement climatique notamment.
Enfin, pour prévenir l’impact des sécheresses sur les activités agricoles, les mesures de prévention les plus efficaces sont les mesures agro-écologiques, visant à améliorer la capacité du sol à retenir l’eau – par exemple à travers le maintien et la plantation de haies, mais aussi le maintien d’un couvert continu [15]. Or, les dernières orientations de la Politique agricole commune (PAC) et des législations nationales – notamment la Loi d’orientation agricole récemment votée ou la loi Duplomb – font presque disparaître ces mesures [16].
Conclusion : Ménager les sols à grande échelle – pour une politique de prévention à la hauteur
Ainsi, aborder l’adaptation au changement climatique par le biais des sols permet d’envisager tout à la fois un grand nombre de risques et ainsi, d’assurer la résilience des territoires par la santé des sols. Or, les sols sont morcelés dans le droit français et ne font pas l’objet d’une pleine reconnaissance de leur rôle. Pas de définition explicite des sols dans la loi à l’instar du droit Suisse, concurrence entre les politiques de protection de la nature et les politiques agricoles, industrielles, d’aménagement… Plusieurs institutions ces dernières années ont réclamé une politique nationale des sols, notamment à la faveur de l’adaptation au changement climatique : “Propositions pour un cadre national de gestion durable des sols”, du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) en 2015, puis de nouveau en 2020 [17].
Image de couverture : The 1:5 Million International Geological Map of Europe and Adjacent Areas (IGME5000)
[2]https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2024/01/2024_HCC_Alimentation_Agriculture_25_01_webc_vdef_c.pdf, p. 56-57.
[13] Dans ce cas, l’article Art. R111-2, du Code de l'urbanisme peut s’appliquer pour refuser des projets ou assortir l’autorisation d’urbanisme de recommandations spéciales visant à garantir la salubrité et la sécurité publique : https://www.lexbase.fr/article-juridique/60231388-jurisprudence-de-l-application-automatique-des-prescriptions-d-un-pprn-aux-autorisations-de-constru
[16] Il est notable que le rapport Langreney ne se risque pas à faire des recommandations en la matière, “compte tenu de la priorité donnée à un meilleur équipement de la ferme France” (p40)